9. Souks ~ Aymeric

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Finalement, cette petite halte aura été agréable. Même si j'avoue que ces voitures et ces bateaux ont de quoi faire rêver, ce sont surtout mes échanges avec Miss Boucan qui ont suscité mon intérêt. Elle n'est peut-être pas aussi cruche que je l'imaginais et entretient apparemment une passion pour la photographie. Reste à savoir si elle est douée... Je pense qu'elle doit l'être, car les clichés qu'elle a pris de moi et que j'ai regardés en douce sont vraiment chouettes.

Après la visite du complexe, le car nous ramène vers le centre-ville, où notre guide nous donne quartier libre pendant deux heures et demie, nous suggérant de découvrir le Musée d'art islamique ou les souks. Alors que les autres passagers s'égaillent dans toutes les directions, Miss Boucan reste tankée à côté du bus, les yeux fixés sur son téléphone. Ma curiosité pleinement éveillée, je l'interroge presque malgré moi :

— Qu'est-ce que vous faites ?

Absorbée par son écran, elle ne lève même pas la tête et met quelques secondes avant de me répondre :

— Mmmm... je cherche sur internet ce qui est le plus intéressant à visiter.

— Alors ? Quel est le verdict ?

— Ils disent que le Souq Waqif est un lieu incontournable pour qui veut découvrir le patrimoine et les traditions de la ville.

— Vendu ! Partons à sa découverte dans ce cas !

Miss Boucan braque aussitôt son regard troublant sur moi.

— Ensemble ?

— Je ne peux pas vous laisser vous balader toute seule.

— Et pourquoi donc ? Je suis une grande fille au cas où vous ne l'auriez pas remarqué !

— Laisser vagabonder une femme seule dans un environnement inconnu n'est pas très prudent. Et puis surtout, je ne voudrais pas que vous loupiez encore le bus. J'ai l'âme d'un bon Samaritain aujourd'hui, je préfère épargner aux pauvres passagers de votre prochain avion l'attente que nous avons subie à Roissy. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que vous êtes du genre à perdre la notion du temps dès que vous avez votre appareil photo en main. Vous perdre tout court, également.

La blondinette me jette un regard de travers avant de me tirer la langue.

— J'ai un excellent sens de l'orientation.

Je me contente de lui retourner un sourire moqueur puis lui emboîte le pas. Nous traversons la grande esplanade dallée et nous engageons dans la artère principale. Nous cheminons sous les arcades avant de pénétrer à l'intérieur du souk. C'est un véritable labyrinthe de rues pavées agrémentées de vieilles lanternes et de portes en bois. Ses passages couverts sont remplis de minuscules magasins présentant leurs marchandises empilées le long des murs de pierre recouverts de boue séchée. Les plafonds en bambou avec les poutres qui les soutiennent lui confèrent un aspect vieillissant en totale opposition avec les constructions modernes et les gratte-ciel que nous venons de voir. Le Souq Waqif est visiblement un marché florissant. Certaines ruelles sont particulièrement encombrées, nous y croisons des touristes et un grand nombre de Qataris qui font leurs courses.

Au gré de nos déambulations, nous passons devant des boutiques qui vendent des accessoires de cuisine, des vêtements brodés ou des objets d'artisanat. Casseroles, dallahs[1], côtoient paniers, tissages bédouins, foulards, caftans, sacs à main, articles en cuir, lampes colorées et babioles diverses. Miss Boucan, accrochée à son appareil, s'arrête régulièrement. Elle a pris au sérieux mon avertissement, car elle s'abstient de photographier les autochtones. Je l'observe pendant qu'elle mitraille des caisses débordant de noix et de feuilles de thé et des sacs d'épices colorées appuyés contre les devantures pleines. Il n'y a pas à dire, cette nana n'a rien de commun avec ces touristes qui prennent des centaines de photos en continu. Elle choisit ses sujets et prend son temps. J'avoue que je meurs de curiosité de voir le résultat, mais je commence à m'impatienter. Nous sommes loin d'avoir tout exploré et ce serait bien si elle se magnait un peu. D'autant plus que j'ai faim. Des effluves de safran, cumin, citron et fleurs séchées, auxquelles se mêlent des odeurs de nourriture, nous emplissent les narines et me font saliver.

ENFER AU PARADIS (Edité chez Amazon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant