Je n'arrive pas à l'oublier. A chaque fois que je ferme les yeux, que mon père m'insulte, que mon frère me lance des regards noirs ou que ma mère détourne le regard, son sourire apparaît et m'apaise. J'ai l'impression que la vie est plus facile à supporter juste parce qu'une main s'est tendue.
Pourtant, c'est ridicule, je ne connais même pas son prénom, j'ai fui comme un voleur en le remerciant à peine, alors il doit m'avoir oublié depuis longtemps. Tout au long de la semaine, je n'ai pas pu m'en empêcher, chaque fois que je suis sur le campus, je le cherche, j'espère le croiser au détour d'un chemin et juste avoir le plaisir de le voir. Je pourrais ainsi l'inviter à manger pour le remercier correctement et alors juste le voir sourire encore une fois.
Le week-end est arrivé et le pire moment de la semaine approche. Je dois rester à la maison, mon père refuse que je traîne dans les rues, pour éviter que j'aille me faire prendre par tous les mecs que je croise dans ces clubs louches que l'on trouve dans les bas fonds de la ville. J'ai essayé de lui faire comprendre que je n'étais pas comme ça, que je voulais juste un petit-ami et vivre une vie simple. Il m'a violemment frappé en me disant que les Gays n'étaient que des obsédés et que jamais il ne laisserait son fils en être un.
C'est pour ça que je suis à moitié allongé dans mon lit, à regarder l'heure tourner et arriver au moment où il va débarquer, complètement bourré, après avoir quitté sa séance d'entraînement de Muay Thaï. Alors viendra le moment où il posera la question tant redoutée, est-ce que son fils a repris ses esprits et arrêté de vouloir le faire avec un homme ? Et alors je donnerai ma réponse, la même à chaque fois, celle qui le mettra dans une colère noire et déclenchera ce qu'il appelle la leçon. Alors, il viendra célébrer la joie d'avoir gagné ou bien déverser la colère d'avoir perdu en frappant son bon à rien de fils. Et évidemment, mon frère ne sera que trop heureux de venir donner un coup de main.
Je m'assois droit dans mon lit quand la poignée s'abaisse. J'ai appris que se cacher n'aidait en rien, qu'au contraire, ça le mettait encore plus en colère. Il apparaît sur le pas de la porte et j'avale ma salive alors qu'il me scrute. "Alors... " Il ne prend même plus la peine de poser la question maintenant, des semaines qu'il me la pose invariablement. Est-ce que j'ai arrêté mes conneries et aime à nouveau les femmes ?
"Je ne peux pas changer papa... Je... je ne suis pas un monstre, je suis juste différent." Ma voix tremble, ma voix craque et je commence à trembler quand je le vois enlever sa ceinture en cuir. "Je t'en supplie papa... ne fais pas ça..." J'essaie de reculer, mais je n'ai aucun moyen de repli alors que lui s'avance vers moi et je pousse un cri quand le cuir s'enroule autour de ma cuisse nue. La sensation de brûlure est intense et les larmes me montent aussitôt aux yeux.
Je me demande un instant ce que pensent les voisins, ils doivent m'entendre chaque samedi... Pourquoi aucun d'eux ne fait quoi que ce soit ? Je sais pourquoi, mon père est terrifiant et personne n'ose s'opposer à lui. Seulement, moi je n'y arrive plus, je ne m'en sors pas et j'ai besoin que quelqu'un m'aide, me dise que tout va bien aller même si ce n'est pas vrai.
Je lève la main pour tenter d'arrêter ses coups, mais de nouveau le cuir claque, je sens une atroce douleur dans ma main et le rire de mon frère me paralyse complètement. "Tu ne tapes pas assez fort papa, laisse-moi t'aider un peu, ça va bien finir par rentrer." Il avance alors dans la chambre et claque la porte derrière lui. Ce bruit me terrorise plus que le bruit du cuir sur ma peau et je ne peux que supporter leur punition en espérant qu'ils se lassent rapidement.
J'ai encore fui la maison, je pense sérieusement qu'ils vont finir par me tuer, je ne sais même pas s'ils arrêteraient si je venais à dire que finalement j'aime les femmes. Ils trouveraient sûrement plein d'autres manières de me faire souffrir. Instinctivement, j'ai repris la même route que la semaine dernière et je suis dans un état tout aussi triste.