Il pleut. Beaucoup, même. Il pleut si fort qu'on risque une inondation. Alors pourquoi je ne reste pas tranquillement à la maison au lieu de sortir ? Pourquoi je prends des risques inutiles ? Certains diraient que je suis folle, d'autres suicidaire.
Je ne sais pas.
Mais j'ai l'impression qu'une présence m'appelle. Je sais, ça parait fou. Peut-être que ça l'est.
Mais je sais que je dois y aller.
Alors je chausse mes bottes boueuses comme presque tous les jours depuis ma naissance et je sors de la maison. Il fait froid, je suis trempée en posant seulement un pied dehors, mais je dois continuer. J'affronte littéralement vent et tempêtes. Plusieurs fois, une bourrasque manque de me faire trébucher. Plusieurs fois, je glisse dans la boue. Plusieurs fois, j'envisage de rentrer. Mais je continue.
Peut-être que je n'aurais pas du.
Ainsi rien ne serait venu perturber mon monde si stable.
Mais il faut croire que je n'aime pas ça, la stabilité.
Après une longue marche, je suis devant la falaise. Le sentier est à peine visible, des pierres dégringolent à chaque instant, les vagues le submergent plus bas. Mais je descend quand même.
Pas avec précaution, non, je me précipite presque.
Pourquoi ?
J'ai l'intime conviction que je dois aller vite. Comme si ce que je cherchai allait disparaitre. Alors je me dépêche. Je manque de tomber plus d'une fois, je me retrouve même un pied dans le vide, et je m'écorche le genou. Mais je m'en fiche. Je dois continuer. Enfin, je suis en bas de la falaise. Seulement quelques mètres sous moi, une mer violente se déchaîne. Mais je n'y fait pas attention.
Ce n'est pas pour ça que je suis là.
Et puis un trou noir. Profond. Menaçant. Je ne devrais pas y entrer, aujourd'hui plus que jamais. A chaque instant, la marée pourrait entrer et m'y coincer. Il faut croire que je m'en fiche, puisque je continue.
J'entre et un étrange sentiment m'envahit. Une vague d'excitation, d'appréhension, et d'un quelque chose que je ne saurais décrire. Je l'ignore et j'avance. Je ne vois presque rien. J'avance à l'aveuglette. Comme si je courais dans les ténèbres pour sortir le monde de l'obscurité. Si je faisais attention à mes pensées, je pense que je rigolerais toute seule. Mais tout ce qui m'intéresse, c'est ce qui est devant moi. Et soudain j'atteins la paroi. Une paroi lisse. Sans aucune anfractuosité. Un mur. Depuis toujours, c'est le grand mystère de mon village. Mais aujourd'hui, tout bascule. Puisque la paroi s'enfonce dans la roche.
Et j'atteins un long tunnel. Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas peur de qui s'est passé. Je devrais. Mais je dois continuer.
Les murs sont strillées de gravures surnaturelles. Je les suis du bout des doigts, fascinée. J'ai l'impression de lire une histoire.
Je vois des créatures étranges. Surnaturelles. Extraordinaires. Des Etoiles. Je vois une Terre peuplée seulement d'Etoiles. Je vois une tempête. Je vois du vent. Je vois de la peur. Je vois de l'inquiétude. Je vois une hésitation. Je vois une décision. Je vois une grotte creusée dans une falaise. Je vois des Etoiles s'y enfermer. Je vois la fin du monde.
Je vois une vie qui continue. Je vois une organisation précaire. Je vois le temps qui passe. Je vois un enfant sur le point de naitre. Je vois des morts. Je vois un avenir entre les mains de l'enfant. Je vois un choix rude. Je vois un abandon. Je vois un enfant qui ne naitra jamais. Je vois en lui le dernier espoir des Etoiles. Je vois en lui le seul rescapé de ce peuple que nous ne connaitrons jamais.
J'arrive au bout du couloir. Je vois une salle ronde. Je vois une pierre ronde au centre. Je vois une lumière émerger de la roche, puis augmenter jusqu'à baigner la pièce d'une intensité si forte que même le soleil éclairerait moins. Et puis je la vois sortir de la pierre. L'Etoile. Je vois une créature extraordinaire se dresser devant moi.
Je tends la main mais elle ne rencontre aucune résistance. L'Etoile est comme du brouillard. La brume disparait puis se reforme autour de moi. J'ai l'impression de comprendre la créature. De ressentir ses émotions. Elle ne sait pas où elle est. Alors je la rassure:
-Tu es en sécurité.
Un grondement me déchire les tympans. De l'eau coule sur la roche et vient lécher mes chevilles. Un éclair de peur me traverse. Il n'est pas à moi. L'Etoile. Elle reconnait l'eau qui a détruit son peuple. La catastrophe se répète. Des millions d'années après. Le monde est sur le point de connaitre sa fin.
Mais peut-être qu'encore une fois cette grotte sera épargnée. Je ne sais pas Mais je ne veux pas rester coincée ici des milliers d'années. Et l'Etoile non plus. Elle m'enveloppe puis rentre en moi. Nous ne sommes qu'un, mais je sens en moi une deuxième conscience. Mes pieds se soulèvent du sol et je me retrouve à flotter vers le plafond de la grotte. La roche s'approche, mais je la traverse comme de l'air. Je ressors dans le ciel quelques secondes après, et ce que je vois me remplit d'une peur qui mêle la mienne et celle de l'Etoile. Mais je ne laisserais pas la catastrophe se répéter. Et je sais qu'elle non plus. Et, unis par un lien magique, nous fermons les yeux, et une lumière émerge de notre corps, blanche, puissante, indestructible.
Je sais que ce que j'ai devant moi est la preuve de ma nouvelle existence. Un mélange entre le pouvoir de l'Etoile et le mien. Une puissance qui pourrait détruire le monde.
Mais aujourd'hui elle le sauvera.
La lumière s'intensifie encore, jusqu'à envahir mon champs de vision. Tout n'est que lumière, et je suis le soleil à l'origine de ces rayons. Peut-être que cela dure quelques secondes ou au contraire plusieurs millénaires. Je ne sais pas. Mais je sais que bientôt une douce brise qui n'a rien à voir au vent brutal que j'ai ressenti me caresse doucement. Nous rouvrons les yeux.
L'océan est calme. Les vagues petites. Mais notre pouvoir commence à baisser. Nous descendons lentement vers la surface de l'eau, sur le même petit sentier qui m'a amené à la grotte.
Grotte qui n'existe plus.
Elle a sauvé le monde aujourd'hui, et maintenant il n'y a plus de trace de son existence.
Mais c'est la seule preuve de ce qui est arrivé.
Car quand je rentre à la maison, mon grand-père fume sa pipe comme d'habitude et il se tourne vers moi, inquiet, avant de me raconter comment la tempête s'est brusquement calmée. Je l'écoute, tout en dessinant les traits de son visage de mes doigts frêles. Et puis un changement se produit en moi.
Mes yeux s'ouvrent.
Depuis toute petite, je vis dans une noirceur totale, mais je me déplace grâce à mes autres sens. Je percevais le monde qui m'entoure, je le devinais, je ne sais pas comment l'expliquer.
Mais aujourd'hui, mes yeux s'ouvrent, et ils sont blancs.
C'est peut-être bizarre, mais je sais tout de suite que c'est la preuve que j'attendais.
J'ai sauvé le monde.
En échange on m'a donné la vue.
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Nouvelles & OS
Short StoryVoici un recueil de nouvelles et d'OS divers, il y en a pour tous les goûts ! Suicide: "Alors je me dresse sur la pointe des pieds, je prends mon élan et je saute." Un Drago enneigé: "Toujours en riant, tu l'embrasses doucement, parsemant son visage...