Suicide

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Vivre. Certains disent que c'est une chance, une bénédiction. Pour moi, c'est juste un fardeau de plus. Un malheur de plus à supporter. Mais après tout, je n'ai jamais connu que ça, le malheur. Alors, pour une fois, je voudrais être heureuse. Ou du moins, cesser d'être malheureuse. Car la ligne entre le malheur et l'absence d'émotion est fine.

Alors j'ai décidé d'abréger mes souffrances. De cesser de vivre en faisant semblant d'être heureuse, comme si j'avais une seule raison d'être heureuse. Tout se bouscule dans ma tête, je ne suis plus sûre de rien, sauf d'une chose : c'est presque fini. Je me le répète à moi-même, comme une formule d'encouragement : « On y est presque », « Tout ça sera bientôt terminé », « Bientôt, tu n'auras plus besoin de faire semblant ». En fait, je n'aurais plus besoin de rien faire. Je mentirai si je disais que j'étais sûre de mon coup. Mais je suis mon instinct et, jusque-là, il ne m'a jamais trompé.

Je suis au bord du gouffre de la mort, je sens dans mon dos le vent de mes émotions qui me pousse vers la falaise, un vent noir, calme, comme résigné. Un vent qui a auparavant soufflé sans faire de dégâts. J'ai tenté de me battre, de résister, mais parfois on n'a pas le choix. La mort est ma dernière option. Alors je respire, je calme les derniers battements de mon cœur affolé. Je profite de l'instant, je savoure l'air vif qui entre dans mes narines, pour la dernière fois.

Je me retourne. Ma vie défile devant moi. Je revois des souvenirs, mais surtout les émotions qui les accompagnent. Les gens ont toujours dit que j'étais d'un sang-froid incroyable et que je ne perdais jamais mon calme. Ils ont peut-être raison. Là, aux portes de la mort, je me sens calme et, pour la première fois de ma vie, en paix. Il ne me reste qu'une poignée de secondes à vivre. C'est peu, mais cela me donne le temps de réfléchir. Ma vie a toujours été un cauchemar. La mort, finalement, c'est ce qui me sera arrivé de mieux. Alors je tourne le dos à mon passé. J'oublie tous les instants de doute, me rappelant seulement mon soulagement. Je vais enfin pouvoir cesser de me battre, contre l'injustice de ce monde, contre le malheur qui ronge ma vie depuis ma naissance. Je vais enfin pouvoir lâcher prise. J'en ai assez de devoir lutter contre l'inéluctable.

Alors j'avance. D'un pas. Je ressens de la colère, d'abord. Au deuxième pas, c'est de la haine. De la haine envers ceux qui ne m'ont pas aimé comme ils auraient dus. Envers le destin pour m'avoir donné de faux espoirs en m'offrant cette vie. Et surtout envers moi-même. Je me hais, je me hais tellement, je me hais à m'en arracher les cheveux, à m'en déchirer la peau. Un pas de plus. Cette fois, c'est du soulagement. C'est fini. Je regarde autour de moi pour la dernière fois, je mémorise la couleur du ciel nuageux, de l'herbe sous mes pieds. Et puis, je ferme les yeux. Et j'ai l'impression de m'être déconnecté d'eux. Comme si je flottais dans un monde brumeux dont je ne pouvais pas m'échapper. Je sens la fraicheur du vent sur ma peau nue, je frissonne avec délice, je sens mes doigts le long de mes cuisses. Et puis plus rien. J'écoute une dernière fois le murmure de la brise dans mes oreilles, les grondements lointains du tonnerre. Et je deviens sourde. J'entrouvre la bouche et le goût du sel se dépose sur ma langue. Je savoure ce contact, piquant et apaisant. Et j'oublie ce que veut dire ce mot, « contact ». Il devient pour moi de simples lettres, car la seule chose que je ressens encore, c'est la senteur de la mer. Un odeur forte, salée, marquée, imposante. Elle m'emplit le nez, et devient tout mon univers. Et puis j'oublie où je suis. Je ne suis plus qu'une boule d'adrénaline, je peine à réaliser que j'y suis enfin, que la douleur va enfin cesser. J'avance encore, enfin, je crois. Je ne sens plus rien.

Mais je sais au fond de moi-même que je suis au bord de la falaise. Je ne vais pas me contenter de faire un pas et de tomber dans le vide. Non, je vais sauter. Je vais leur montrer que la seule décision que j'ai jamais prise, je m'y tiendrais jusqu'au bout. Je montrerai au monde entier que je ne suis pas qu'un pantin du destin et que je peux faire ce que je veux. Car le suicide est l'ultime expression de la liberté. De savoir que l'on peut choisir sa mort, ça aide à vivre.

Moi qui ait toujours subi sans rien en échange, qui n'ait fait que naviguer de malheur en malheur, pour la première fois, je vais faire ce que je veux faire, et pas ce qu'on m'ordonne.

Pour la première fois, je vais être libre.

Alors je me dresse sur la pointe des pieds, je prends mon élan et je saute.



Il n'y aura pas de fin à cette histoire, et pour une bonne raison: cette histoire, c'est celle de votre vie. Et la fin de votre vie, c'est vous qui la choisissez. Seul toi, qui lis ces lignes, peut savoir si le narrateur va sauter finalement. Si, dans un dernier instant d'espoir, il va se raccrocher au bord de la falaise, comme à la vie, ou s'il va simplement lâcher prise.

Tu es l'auteur de ta propre histoire.

Et cette histoire, elle est pour tous ceux qui ont un jour ressenti ce que j'ai décrit et pour tous ceux qui ne sont plus parmi nous aujourd'hui. C'est à eux que je dédie cette histoire, l'histoire d'un adieu au monde des vivants. L'histoire de la vie.



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