Un cancer enterré

23 3 1
                                    


Le jour où j'ai appris que j'avais un cancer, tu étais là. Comme toujours, tu étais à mes côtés pour me soutenir, pour m'épauler. 

Pour m'éclairer dans la nuit. 

Pour me guider dans la tempête. 

Le médecin nous a fait part du diagnostic. Je crois que j'ai pleuré. Je ne me souviens plus. Tout ce que je sais, c'est que comme d'habitude, tu m'as serré fort, et m'a réconforté, me chuchotant:

-Tu va voir, on va lui botter le cul à ce cancer ! 

 Et j'ai ri. Tu me fais toujours rire. 


 Quand le traitement a commencé, j'étais horriblement malade. Toi, tu loupais souvent plusieurs journées de cours pour me soutenir. Tes parents s'énervaient, mais tu refusais d'aller à l'école.

Et quand je t'ai demandée pourquoi tu faisais ça, tu m'a simplement répondue: 

 -Une meilleure amie est toujours là, et surtout dans les moments durs.  


Les jours sont passés, puis les semaines, et les mois. J'ai commencé à perdre mes cheveux. Je me souviendrais toujours du jour où tu as débarqué dans ma salle de bain pour me voir en pleurs devant le lavabo remplis de mèches brunes. Tu m'a serré dans tes bras, et tu as séché mes larmes. Avant de te faufiler hors de la pièce, et de revenir avec la tondeuse que mon père utilise pour sa barbe. Et avant même que je puisse comprendre quoi que ce soit, nous avions toutes les deux les cheveux tondues, même toi qui n'avait pas de cancer.


Ta mère m'a raconté que plusieurs fois, elle t'avait retrouvée en train de pleurer dans ton lit, répétant sans cesse mon nom. Ou même que tu faisais parfois des cauchemars, et que tu te réveillais au milieu de la nuit en hurlant que j'étais morte. 

Une meilleure amie souffre avec nous quand on traverse des épreuves. 

Tu me l'as fait comprendre mieux que personne. 


Quand je suis retournée à l'école, je n'avais pas de cheveux. Je voulais une perruque, mais tu m'avais dit, je me souviens très bien: 

-Pourquoi cacher que tu es une battante ? 

Tu avais raison, comme toujours. Quand on m'a demandé ce que j'avais, j'ai baissé le regard. Et tu sais ce que tu as fait ? Tu as répondu à ma place. 

Une fois de plus, tu avais su quoi faire.


Les mois sont passés, dans un fragile équilibre de rémission pour moi. J'allais mieux, puis moins bien, puis mieux. Mais à chaque fois que j'avais des mauvais résultats au scanner, tu allais chercher des plaids et des ours en guimauve, et on se refaisait les Star Wars. 

Franchement, je pense que maintenant je connais toutes les répliques par coeur. 


Petit à petit, le cancer s'est éloigné. Mais je le sentais toujours derrière moi, comme une ombre, prête à s'abattre à la moindre faiblesse. Lorsque mes cheveux ont commencé à repousser, tu avais déjà tondu les tiens quatre fois, pour ne pas qu'ils repoussent avant les miens. Je me souviens encore de la première queue de cheval que tu m'as faite, après presque trois ans. On a pleuré, je crois. Pour une queue de cheval.

Parfois, c'est vraiment bizarre, l'amitié.


Ma dissertation pour entrer à l'université, je voulais la faire sur le métier de mon père, qui était marin. Parce que je ne voulais plus être considérée comme "la malade", ou la "cancéreuse". 

Tu m'as convaincu qu'il n'y avait aucun honte à avoir eu un cancer, et que c'était au contraire une vraie force. 

Et ma dissertation sur ma maladie, elle a tout déchiré. 

Heureusement, parce que j'avais gaspillé des dizaines de feuilles à essayer de parler des bateaux, sans succès.


Et aujourd'hui, c'est fini. Enfin, pas tout à fait. Que je le veuille ou non, le cancer sera toujours avec moi. Mais j'en tirerais de la force, et plus de la tristesse. 

On dit souvent que la plus grande force provient des épreuves qu'on traverse. 

Je peux te dire qu'à côté de moi, Hulk n'est rien.  

On a acheté une dizaines de paquets de chips et d'ours en guimauve, en souvenir du bon vieux temps. Par contre, ton chien avait mangé le plaid, donc on n'a pas pu l'avoir. On a pris une boîte à chaussure, et on y a jeté tous les scanners. On les avait photocopié, évidement, mais c'était symbolique. Et, avec nos mains, on a creusé un trou dans mon jardin, mis la boîte et rebouché avec de la terre. 

On avait réussi. Ensemble. 

Nouvelles & OSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant