Retrouvailles

666 36 7
                                    

Les cerisiers en fleurs accompagnent la lignée presque interminable d'étudiants entrant sur le campus de l'université X de Tokyo en ce mois d'avril. Le temps est doux, le ciel est bleu, le soleil printanier caresse les pétales, tout semble parfait pour une rentrée universitaire. Tous les âges et tous les styles se faufilent, désemparés ou heureux de reprendre le chemin de la fac en cette nouvelle année. Parmi eux, un duo d'amis aux coupes improbables se chamaillent.

- Je te jure, j'ai passé une semaine entière à presque rien faire avec Keiji, c'était magiiiique !! Je veux retourner dans notre lit.

- Bro, vraiment, je veux pas de détails, par respect pour Akaashi et pour mes oreilles chastes, répond le brun à la crête de coq.

- On aura tout entendu...

Les deux étudiants entrent en troisième année de fac de sport, s'approchant doucement mais sûrement de la fin de leurs études. Le brun, Kuroo Tetsurô, fait du volley et de l'escalade, mais il est surtout connu pour l'organisation de soirées étudiantes mythiques chaque année avec l'association étudiante. Le second, Bokuto Kôtarô, ne suit que le programme volley depuis qu'il est entré dans une équipe nationale, et est en couple depuis plusieurs années avec Akaashi Keiji, un étudiant en 2ème année de fac de lettres, ce qui ne manque jamais d'étonner ceux qui ne les connaissent pas. Tous les trois se fréquentent depuis le lycée, même si Kuroo n'était pas dans le même établissement que le couple.

Cette rentrée universitaire rend Kuroo heureux. Non pas qu'il ait spécialement envie de retrouver les bancs de l'amphithéâtre ou les entraînements plus que douloureux, mais il a LA soirée de rentrée à préparer rapidement. Les professeurs ont beau lui dire de se calmer à ce sujet, et de se concentrer plutôt sur ses cours, il s'en fiche. Ses notes sont plutôt bonnes, ses résultats sportifs sont loin d'être mauvais, alors qu'est-ce que ça peut faire qu'il s'endorme sur sa table le vendredi matin ou qu'il soit un peu moins efficace à l'entraînement ? Il évite déjà les soirées les veilles de match ou de compétition, c'est déjà un exploit pour lui. Surtout que cette année, ça risque d'être un peu plus triste : avec ses entraînements de plus en plus importants, Bokuto ne peut plus le suivre comme en première ou au début de la deuxième année. Sa carrière est en jeu après tout, et il le comprend bien. Kuroo, lui, ne se voit pas faire une carrière de sportif, sans s'en éloigner non plus : c'est encore flou pour lui, et il se dit qu'il a encore un peu de temps pour y penser.

Il abandonne Bokuto qui doit aller à son entraînement matinal : commencer la semaine et l'année par du renforcement musculaire à 8h, c'est clairement une torture, même pour son ami, surtout après une semaine de vacances. Ils ont un cours de physiologie ensemble à 11h, mais en attendant, le brun doit rejoindre les tables de l'association étudiante pour accueillir les nouveaux. Les autres membres de l'association ont déjà tout installé, juste à côté de l'entrée du bâtiment principal, pour être sûr de toucher un maximum de personnes. Il salue tout le monde, prend une pile de flyers, et commence sa distribution. Il a parfaitement conscience d'être plutôt beau garçon, avec ses muscles fins, ses yeux noisette aux reflets gris et sa taille. Après tout, il arrive à draguer les hommes comme les femmes sans aucun souci, et enchaîne les conquêtes et les histoires d'un soir (ou à peine plus). Résultats, beaucoup de jeunes étudiantes s'approchent de lui, ainsi que les hommes de la section sport, qui connaissent déjà son cursus universitaire. En effet, il a déjà fait le tour des lycées de Tokyo pour présenter sa filière, et les encourager à venir voir les compétitions des étudiants. Bref, il est vraiment populaire, et ça ne lui déplaît pas, même s'il sait que certains de ses traits de personnalité pourraient détruire cette réputation si ça se savait - plus que d'être un dragueur invétéré.

Kuroo distribuait des tracts depuis déjà une heure et demi. Il discute avec un maximum de personnes, fait la personne totalement extravertie, joue son rôle d'homme populaire, drague les personnes qui correspondent à ses goûts. Un grand blond s'approche alors, et Kuroo lui tend un flyer en souriant à d'autres personnes, avant de se retourner et de se figer. Il en perd son sourire en regardant la personne : même s'il n'a pas la même coupe qu'il y a deux ans, il reconnaîtrait cet air narquois entre mille. Il l'avait bien trop observé lors de son dernier match de volley au lycée.

- Et bien dis-donc, Kuroo, ça profite de la fac?

- Tsukishima... Que vient faire un petit corbeau campagnard ici ?, répond avec le même air Kuroo.

- Oh écoute, je suis un corbeau, je peux vivre n'importe où, et je suis capable de quitter le nid, moi.

- Sale gosse, t'as pris la confiance.

- Merci du compliment, petit.

Il n'avait que quelques petites centimètres de moins que le blond, mais ce dernier s'en enorgueillit depuis le lycée, au grand dam du brun. Il lui fait une grimace digne d'un enfant, tandis que Tsukishima se moque de lui en partant. Il a définitivement perdu son sourire. Il éloigne gentiment ses fans, balance les flyers sur la table, s'excuse auprès des autres, et va se poser sous un des cerisiers en fleurs pour se calmer. Il n'a jamais compris pourquoi ce central en particulier l'a toujours énervé : ils ont fait des stages ensemble, des matchs amicaux, ainsi que le célèbre match des poubelles pendant le tournoi de printemps de son année de terminale, son dernier tournoi. Et alors qu'il a aussi tendance à provoquer les autres pendant qu'il joue, il ne supporte pas qu'un gamin fasse comme lui. A moins que ce n'était toute sa personnalité qui l'énervait. Ou autre chose. Bref, il n'en sait rien. Il avait réussi à l'oublier, mais maintenant qu'il était face à lui, dans le même établissement alors qu'il ne s'y attendait absolument pas, ça le rend nerveux.

Par réflexe, il appelle Kenma. Il laisse sonner deux, trois, quatre fois... Avant de se souvenir qu'il a dû streamer toute la nuit, et qu'il va se faire massacrer s'il le réveille. Malheureusement, il n'a pas le temps de raccrocher...

- Tu te fous de moi, à me réveiller si tôt?

- Désolé, j'y ai pas pensé ! J'ai composé ton numéro machinalement comme Bokuto est en plein entraînement...

- Mais je m'en fous, je veux dormir, tu sais à quelle heure je me suis couchée? 6h30. Et il est... 9h30?! Vraiment ?

- Tsukishima est sur mon campus.

- Ah... Bah ça arrive, parle-moi en plus tard quand je serai réveillé. Suis bien tes cours, idiot.

- Tss, bonne nuit Kenma, merci pour le soutien.

Kuroo regarde son téléphone. Vraiment, qu'est-ce qu'il a fait pour avoir un tel ami d'enfance, il ne le sait pas trop. Il finit par le ranger dans la poche de son jean noir déchiré au niveau des genoux, et met ses mains dans les poches de son sweat aux couleurs du club de volley de son université, bleu marine avec des écritures blanches. Il se permet de se détendre un peu, à regarder les pétales des fleurs de cerisiers commencer à tomber sur l'herbe. En vrai, il sait pourquoi Tsukishima l'énerve. C'est aussi pour ça qu'il n'a jamais réussi à avoir une relation normale en deux ans. Mais jamais il ne l'acceptera, jamais il ne l'avouera, surtout pas au premier concerné. Il respire un bon coup, avant de retrouver son sourire dragueur et de retourner dans l'enceinte du campus.

Deux idiotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant