PARTIE I

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  La flamme frémissante de la bougie à demi-consumée semblait flotter dans l'obscurité la plus totale. À mesure que l'on s'approchait, cependant, on distinguait le vieux bougeoir posé sur une table en bois grossier, à côté de feuilles noircies de notes étalées avec un certain désordre.

Plusieurs d'entre elles étaient écrasées maladroitement par deux coudes s'appuyant lourdement sur la table. Ils appartenaient à un homme silencieux, la tête entre les mains, à moitié avachi sur le plan de travail. De temps à autre, il laissait échapper un soupir empli de lassitude et de découragement.

Cet homme se nommait Arthur Conan Doyle, et pour l'heure, il considérait sa vie comme un véritable tourment.

Ses problèmes d'argent l'avaient obligé à faire ressurgir un fantôme dont il avait cru être débarrassé depuis longtemps. Et à jamais. Et pourtant, pourtant, il n'osait pas relever les yeux de ses mains tremblantes, car il savait ce qui l'attendait s'il le faisait. Il savait qu'il serait là. Peut-être ne l'avait-il jamais vraiment quitté.

« En effet, murmura une voix dans la pénombre. Malgré tous vos efforts, je suis toujours là. Pourquoi ? »

Le murmure semblait flotter comme un souffle de vent, sans teneur concrète, mais il savait qu'il lui suffirait de lever les yeux pour lui donner une consistance. Et, suite à l'insolente interrogation, il lui fut impossible de jouer l'ignorant plus longtemps.

« Pourquoi ? murmura-t-il à son tour en se redressant sur sa chaise ; un rire cassé et lugubre secoua son corps déjà tremblant alors qu'il posait le regard sur les ténèbres devant lui. Tu oses me demander pourquoi ? Tout ça, c'est de ta faute.

– Vraiment ? s'enquit la voix, et une silhouette jaillit lentement de l'obscurité.

La lumière tremblotante de la bougie fut suffisante pour distinguer la grande taille, les cheveux de jais, et le regard perçant illuminant le visage délicat d'intelligence. Mais Doyle n'avait pas besoin d'une quelconque lumière pour reconnaître la source de tous ses malheurs.

– Bien sûr, gémit-il en fusillant néanmoins Sherlock Holmes du regard. Tu as envahi ma vie entière. Tu éclipse tout ce que je tente d'entreprendre par ailleurs. Si tu n'étais pas là, je serais reconnu pour d'autres travaux bien plus importants, et je ne dépendrais pas de toi et de tes aventures stupides.

Si quelqu'un d'autre avait été présent dans la pièce, il ou elle aurait certainement jugé que Conan Doyle devait être fou à lier pour enrager comme ça, seul dans le noir de son petit bureau. Mais l'écrivain n'en avait que faire. Il était seul, et il lui arrivait couramment d'interagir avec ses propres personnages fictifs. Car dans sa tête, ils n'avaient absolument rien de fictif. Il se les représentait parfaitement, jusqu'aux moindres détails, et en fervent croyant aux sciences du spiritisme, il était convaincu qu'en leur donnant vie dans ses livres, il leur avait également octroyé une forme d'existence dans le monde réel.

En particulier un personnage comme Sherlock Holmes, connu et admiré par des milliers de personnes, presque incarné par la force de leurs imaginations. Le célèbre détective le fixait de cet air indéchiffrable et intelligent qu'il avait fini par détester, avec un reflet concerné qui le fit frissonner de dégoût.

– C'est vous qui m'avez créé.

– La pire erreur de ma vie, assurément.

Un silence suivit cette assertion. Ce fut le héros de roman qui le brisa, toujours avec ce ton calme insupportable.

– Dans ce cas, pourquoi m'avoir fait revenir ? Pourquoi, après toutes ces années ?

Je n'avais pas le choix ! hurla brusquement l'auteur en se redressant sur ses pieds, frappant des mains sur la table dans un mouvement violent qui fit voler quelques feuilles.

𝐂𝐮𝐫𝐬𝐞𝐝 𝐒𝐨𝐮𝐥𝐬 | sʜᴇʀɪᴀʀᴛʏ Où les histoires vivent. Découvrez maintenant