PARTIE II

562 69 137
                                    

  Et, bien que personne n'ait jamais eu la possibilité de le vérifier, pas même Conan Doyle qui emporta son secret dans la tombe, la malédiction subsista bel et bien.

Le mythe de Sherlock Holmes ne disparut pas ; comme l'avait prédit l'auteur originel, son personnage lui survécut des années et des années, évoluant au gré des mille et une adaptations qui s'en suivirent. N'ayant aucune envie de garder une quelconque trace du héros fantôme dans son héritage, Doyle laissa son personnage libre de droits, multipliant ainsi les possibilités.

O o . o O o .

Comme prévu, le premier Sherlock vécut encore longuement ; sans garder, au travers des histoires, aucun souvenir de la malédiction, il accomplit encore de multiples exploits, partagea de bons moments avec ses proches, et se lança dans l'apiculture.

La seconde partie de sa vie ne fut pas moins remplie que la première, et pourtant, il se surprenait souvent, le soir venu, lorsqu'il était seul, à fixer le vide sans raison apparente ; et alors il se sentait soudain inexplicablement creux, comme si une part de lui était partie à tout jamais.

Ce fut seulement lorsqu'il mourut de nombreuses années plus tard, et que son esprit se retrouva soudain dans une sorte d'immensité de lumière blanche, qu'il eut à nouveau conscience de n'être qu'un personnage de roman mal-aimé de son créateur.

Il réalisa en premier lieu, et avec un intérêt teinté d'étonnement, qu'il avait rajeuni de plusieurs décennies. Son regard curieux et vif détailla son nouvel environnement – il marchait sur quelque chose de plat, mais il ne pouvait distinguer le sol du reste. Tout était juste... blanc et lumineux. Il n'y avait rien d'autre que lui.

Du moins jusqu'à ce que lui revienne en mémoire un certain évènement, et les dernières paroles échangées avec son auteur (ou plutôt un murmure divaguant à son égard dont il avait eu peine à saisir le sens avant que celui-ci ne s'éteigne, tentant de lui transmettre de dernières informations capitales). La malédiction. À peine la pensée était-elle remontée dans son esprit qu'une présence dans son dos se fit sentir.

« Je vous attendais. »

Sherlock Holmes se retourna lentement. Devant lui, semblant flotter dans le vide immaculé, se tenait le professeur Moriarty, exactement tel qu'il était dans ses souvenirs. Il souriait, ses yeux froids fixés dans les siens. Son dos voûté, son air cruel et son front dégarni lui inspiraient une répulsion en contraste ironique avec la sensation soudaine de plénitude et de satisfaction qui l'envahissait. C'est donc ainsi...

« J'imagine, dit lentement le détective. Que vous avez compris ce dont il s'agit.

Le sourire du professeur s'élargit.

– Élémentaire, mon cher.

Son ton moqueur ne dissipait pas la tension désagréable entre eux alors qu'ils se fixaient à vingt pas l'un de l'autre. Sherlock retint un soupir. Manifestement, il était revenu à l'âge qu'il avait lors de leur dernière rencontre, comme pour rendre les choses plus simples. Sauf qu'elles ne l'étaient pas. Néanmoins, dans leur situation, il semblerait puéril de se concentrer sur de vieilles querelles, n'est-ce pas ? La courtoisie s'imposait.

– Bien, répondit finalement Holmes. Dans ce cas, vous savez ce qu'il se passe après.

– En effet.

Cette fois, le sourire de Moriarty disparut, et pour la première fois, son expression trahit un air de soucis. Holmes en fut légèrement surpris.

– Nous ne nous reverrons plus, n'est-ce pas ? Nos prochaines incarnations conserveront nos âmes, mais ce seront chaque fois des personnes différentes.

𝐂𝐮𝐫𝐬𝐞𝐝 𝐒𝐨𝐮𝐥𝐬 | sʜᴇʀɪᴀʀᴛʏ Où les histoires vivent. Découvrez maintenant