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Que ce serait-il passé si nous nous étions rencontrés au printemps ? Notre amour aurait-il pu fleurir avec les cerisiers ? Le soleil aurait-il fait mûrir notre passion ?

Aurais-je fini par te retrouver ?

Je m'en souviens comme si c'était hier, alors que cela fait déjà trois ans. Trois années que j'ai passées à regretter beaucoup de mes choix. A dire vrai, j'ai toujours été le genre de personne à douter de tout, de tout le monde, et surtout de moi-même.

J'entends les premières notes de musique à l'orgue retentir dans l'église. Alors que je devrais me concentrer sur les yeux pétillants de la mariée qui avance dans l'allée, un large sourire aux lèvres, je repense à toi. Je t'imagine dans cette sublime robe blanche, le prêtre commencer à lire les sacrements et je vis ce moment de façon irréaliste.

C'était il y a trois ans, et pourtant, dans mon esprit le temps s'est arrêté.

La première fois que je t'ai vue, rien ne s'est produit. Dire que ça a été un coup de foudre serait un mensonge et si je m'aventure à tout te raconter aujourd'hui, c'est certainement pour offrir mieux que des foutaises dès le début. J'étais préoccupé par tellement de choses à l'époque que rien n'aurait pu sortir du décor pour venir chatouiller ma curiosité.

Je me souviens encore des effluves de ce bar restaurant pittoresque. Une forte odeur de café, de sucre et de cannelle. Le bruissement des banquettes en vinyle quand on s'assoit dessus. Les tables poissées par tous les passages et le temps. La carte à moitié illisible tant elle a été consultée. Et lorsque j'ai relevé la tête de mon téléphone, j'ai entre aperçu le calme qu'offrait cet endroit.

Même si la petite salle regorgeait de divers bruits qui la maintenaient en vie ; la machine à café, le lait qui bout, les tasses qui s'entrechoquent, les cuillères qui touillent, les différentes discussions, le vent qui souffle tout son sou à l'extérieur... malgré tout ça, le calme était resté piégé à l'extérieur. Mes problèmes avec.

A l'époque, je sortais tout juste de l'école conservatoire, j'avais de grands rêves. Je voulais devenir un pianiste émérite, créer des musiques qui pourraient bercer tous les récits, toutes les histoires, qu'elles soient tristes ou joyeuses. Depuis que j'étais petit, je trouvais que ce qui illuminait profondément les humains c'était les mélodies de la vie. La pluie qui bat son plein pour accompagner les larmes, les oiseaux qui chantent l'amour d'un couple qui s'embrasse sur un banc, l'orage qui déchire le ciel comme des amants se brisent le cœur... Toutes ces sonorités me rendaient fou de créer des morceaux qui pourraient faire chanter la vie à leur tour.

Alors, assis sur cette banquette inconfortable et trouée, j'observais le silence de la rue. Effrayé de ne jamais être rappelé par cette compagnie mondialement connue auprès de laquelle j'avais postulé ce jour-là. Cela faisait des années que je rêvais de travailler pour eux et malgré mon CV plutôt bien travaillé, une boule étouffante séjournait dans ma gorge depuis des jours.

Et que se passerait-il si d'autres étaient bien meilleurs ? Que deviendraient toutes ces heures passées à composer, jouer à en avoir le bout des doigts complètement endoloris ? Ces nuits où seules les notes de musique sommeillaient derrière mes paupières, que je me refusais à fermer pour trouver les accords et l'harmonie parfaite. Que serais-je devenu si je n'avais pas été assez bon ? Dans un monde tel que celui-ci, on ne peut pas se contenter d'être quelconque. Sept milliards d'avenirs, le mien ne devait pas être bâclé.

Je trouvais que je n'étais pas grand-chose, moi et ma guitare pour accompagner les pianos des églises, des bars, des différents karaokés ou toutes autres salles possédant ce noble instrument. Juste pour pouvoir en jouer un peu, j'étais prêt à tout, même vendre mon âme au diable s'il le fallait. Je ne respirais que pour poser mes doigts sur ces touches de marbre froides et pourtant si vivantes.

Lorsque mon téléphone sonna, je me suis précipité à l'extérieur, sans même finir ce café que tu m'avais apporté. Sans même remarquer ce sourire qui hante mes nuits depuis qu'il ne m'est plus destiné. A y réfléchir, c'était peut-être déjà la première fois que je te quittais injustement. J'aurais dû remarquer les traits de ton visage, mais tu n'étais alors qu'une silhouette dans un monde que je ne comprenais que trop peu.

- Allô ? répondis-je immédiatement une fois à l'extérieur.
- Bonjour monsieur, je suis vendeur et je vous appelle pour...

En entendant ce démarcheur, mes espoirs se sont brisés. C'était courant pourtant ce genre d'appel inopiné et assez parasitant. Mais ce jour-là, c'était un signe de mon échec. J'en étais persuadé. Alors, je suis rentré sous ce vent d'automne, bruyant, glacé, entrainant loin de moi les senteurs de ton café.

Le vent de Novembre: mistral.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant