II

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La fille que je fréquentais à l'époque était très jolie. Toujours souriante, partante pour rire de bons cœurs, et très amoureuse. Je ne la méritais pas. On était ensemble depuis plusieurs années, rencontrée par le biais d'un ami commun lors d'une soirée. Au début, je pense que je l'aimais sincèrement. Tout aussi sincèrement qu'on aime les premiers flocons de l'hiver ou le vent frais d'un été caniculaire. Avec le temps, mes sentiments se sont estompés comme tombent les feuilles d'un peuplier ; sans même que j'en aie conscience. Je pensais simplement m'être habitué à sa présence, comme pour ces vieux couples qui ne font plus attention aux petits gestes d'affection ou défauts de l'autre.

Elle l'a sentie bien avant moi, car plus le temps passait et plus elle devenait jalouse. M'écrivant sans arrêt lorsque j'étais chez des amis qu'elle ne connaissait pas et m'appelant à chaque fois que je mettais un peu trop de temps à rentrer. J'étouffais profondément mais je me disais que c'était ça l'amour, faire des sacrifices pour garder l'autre auprès de soi.

Mais quels étaient ses sacrifices ? De me voir arrêter de l'aimer sans même le savoir ? Sans doute.

Un ami m'a dit un jour qu'une femme amoureuse en sait bien plus que n'importe qui sur sa moitié. J'ai l'intime conviction que c'est elle qui m'a appris mes propres sentiments. Ou plutôt leur disparition.

Je me souviendrai toujours de cette serviette qui a volé sous la table, celle-là même sur laquelle je t'avais remercié pour la tarte. J'ai été à la fois surpris et flatté de voir que tu l'avais gardé. Elle aussi, visiblement. Si j'avais pu me cacher lorsqu'elle a commencé à hurler, je l'aurais fait. Ce jour-là, elle m'a rejoint en sachant très bien que c'était la fin. On le savait tous les deux depuis trop longtemps, à la différence qu'elle m'aimait encore. Mes sentiments, moi, s'étaient envolés avec les premières bourrasques d'automne.

Ce n'est que lorsque je suis revenu, avec l'espoir de pouvoir m'excuser auprès de toi pour tout ce bazar qui me faisait honte, que j'ai compris que des yeux pouvaient être la réponse à bien des tracas. Le vent frais faisait virevolter les premières feuilles aux couleurs dorées, et en te voyant dans ce tablier bleu et cette robe un peu démodée, j'ai ressenti quelque chose. De l'amour ? Non, sans doute pas aussi rapidement. Mais mon cœur murmurait une mélodie que je n'avais de cesse de vouloir écrire.

C'était l'histoire d'une femme aux cheveux bruns magnifiques, qui dansaient avec le mistral sous un grand chêne orangé. Une longue écharpe cuivrée autour du cou, elle n'avait de cesse de cacher son menton dans le tricot doux et réconfortant. Je la voyais attendre sans savoir qui ou quoi. Mais elle m'apparaissait si distinctement, que je savais que c'était toi. J'ai voulu en savoir plus, de cette femme mystérieuse qui créait des notes dans ma tête par un simple regard ébène. C'est comme ça que j'ai trouvé le courage de t'inviter à prendre un café.

C'est comme ça que tout a commencé, par des notes naturelles, un murmure du destin.

Alors que les convives se lèvent quand la mariée commence à se diriger vers l'autel, moi, je reste assis derrière ce grand orgue. On m'a expressément engagé pour que je donne vie à l'amour que ces deux inconnus vont partager et chérir jusqu'à, supposément, leur dernier souffle. La pluie frappe doucement contre les vitraux, accompagnant la marche nuptiale que je m'efforce de jouer sans la rendre mélancolique.

Une dame d'un certain âge au premier rang glisse le fameux « mariage pluvieux, mariage heureux ! » dans un sourire à celui que je pense être son mari, tout en montrant la pluie sur les vitraux.

J'ai été fiancé, moi aussi. Tu le sais, d'ailleurs. Tu l'as appris de la pire des façons, et ce n'était même pas voulu. J'ai mis tant d'efforts à essayer de t'oublier, à tourner la page, tout en me persuadant que j'avais fait le bon choix. Que c'était mon rêve que je devais poursuivre, quoi qu'il en coûte et sans me retourner. Au début, ça a plutôt bien fonctionné, même si je ressentais ce vide engloutir toute ma créativité sans que je ne comprenne d'où il venait.

Lorsque j'ai été finalement contacté par cette compagnie que je convoitais tant, cela faisait déjà plusieurs semaines que l'on se fréquentait, toi et moi. Tout était tellement récent, et je n'y croyais plus, à cet appel que j'espérais tant. Au fond de moi, j'avais presque perdu espoir. Alors ce matin de novembre, lorsqu'ils m'ont appelé pour m'annoncer que ma candidature avait été retenue, je n'en revenais pas. La condition était de venir au plus vite à Londres pour commencer à travailler avec eux.

Tout de suite, la seule chose que j'ai pensé c'est évidemment que j'arrive ! Puis, autre chose a pris le dessus ; et nous ?

J'y ai réfléchi deux jours, avant de me retrouver face à toi pour te dire ces mots durs que je t'ai adressé ce soir-là.

C'est fini, Lucie.

Des mots que j'ai regrettés tant de fois. On dit souvent que lorsqu'il y a un doute, il n'y a pas de doute. Pourtant, loin de toi, j'ai découvert qu'il y avait sans aucun doute une exception.

Mon monde avait perdu de son harmonie et toute cette symphonie naissante dans mon cœur à chaque fois que son regard se posait sur moi, avaient disparu sans que je ne m'en aperçoive. Elles étaient restées en France, dans ce bar restaurant, au milieu des effluves de café et de tarte au citron.

Moi, j'étais en route pour Londres, des bagages beaucoup trop vides pour que ce soit le bon choix. Car ce qui me manquait, c'était le bonheur que je venais de rencontrer dans tes bras. Mais tout ça, tu vois, je l'ignorais autant que toi.

C'est par la suite que le destin m'a mis le nez dans cette erreur que j'avais faite les yeux fermés.

Le vent de Novembre: mistral.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant