IV

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Tout le problème avait été là. Lorsque je t'ai rencontrée par hasard, je n'ai pas voulu y croire. A cet amour si sincère, si pur. Comme le vent implacablement froid d'automne, tu m'aimais avec une honnêteté déroutante. Et plus d'une fois j'ai senti mon cœur basculer. Se balancer, menacer de sauter. J'ai toujours eu peur de ces sentiments qui nous mènent par le bout du nez, au point de nous éloigner du chemin. Nous charmant comme les sirènes ont tenté de causer la perte d'Ulysse. Terrorisé par la façon dont mes yeux ne verraient plus mon avenir comme je l'avais toujours imaginé, je fermais mon âme à l'éventualité de la faire vibrer auprès d'une autre. J'ignorais alors qu'il y avait bien plus qu'une seule façon d'être heureux, que le nirvana ne connaissait pas qu'une seule destiné. La réussite n'empêche pas l'amour d'exister.

Tu m'as trouvé. Et tu n'avais rien d'une enchanteresse diabolique. Au contraire. Tu me poussais à continuer d'avancer sur un sentier que je croyais devoir abandonner.

J'étais à la fois envouté et effrayé par ce qui se passait entre nous. Je profitais de chaque instant comme étant le dernier pour ne surtout pas être habitué à ta présence. Mais, il était déjà trop tard, n'est-ce pas ?

Dès l'instant où mon regard s'est réellement posé sur toi, que cette mélodie s'est mise à faire danser mon monde, j'étais perdu. 

Ou retrouvé, plutôt. 

On dit souvent qu'il n'y a qu'en s'égarant qu'on peut réellement se retrouver. Pourquoi tout ça ne m'apparait clairement que maintenant ? Pourquoi les réponses se bousculent seulement que trois ans trop tard?

Malgré tout, j'avais l'impression que m'éterniser m'éloignerait de ce rêve que je touchais presque du bout des doigts. Je n'ai pas ressenti la moindre satisfaction lorsqu'il s'est réalisé. Car, finalement, ce qui l'aurait rendu si vivifiant, ça aurait été de le partager avec toi. D'essayer, de lutter, même si ça ne devait pas durer. De te garder près de moi, de nourrir mon existence avec celle de quelqu'un d'autre, pour en faire quelque chose de magnifique.

J'avais tellement tort, si tu savais. Car un rêve, une joie, toutes ces choses auxquelles j'aspirais, c'était de les partager avec quelqu'un qui les auraient rendus éblouissants. En te quittant, j'avais retiré la couleur de mon existence.

A la place, je suis parti rejoindre ce que je croyais être la félicité et un avenir scintillant. Loin d'un automne aux nuances sucrées, annonciateur d'un hiver bien trop paralysant. Je revois dans toutes les silhouettes du monde, ton manteau marron et ton écharpe à carreaux. Tes cheveux virevoltant sous les bourrasques du temps. A chaque coin de rue, je crois t'apercevoir, qui rend cette saison si particulière, l'automne a perdu de sa saveur acre du café et acidulée du citron pour ne laisser qu'un goût amer dans mes pensées. Et alors, lorsqu'il me semble te reconnaitre dans les traits des autres, ma main se tend d'elle-même, ton nom s'enfuit dans un murmure étranglé par la déception de me rendre compte que ce ne sera plus jamais toi.

Novembre siffle ton nom dans le mistral, et je jurerai parfois entendre l'écho de ton nom entre les feuilles des arbres qui virevoltent sur les chaussées.



Auprès d'elle, et je me haïssais pour ça, tout restait en noir et blanc. Tout était fade ; ces sourires que je lui adressais, me détestant de ne pas les savoir sincères, ces baisers que je lui offrais, dont aucun goût de paradis ne ressortait... La façon dont ses yeux pétillaient quand les miens feignaient seulement la vie.

Elle a pourtant tout fait comme il fallait. M'offrant de merveilleux moments, nourrissant un feu à elle seule. Son amour crépitait à mes côtés, comme ce feu de cheminée qui était censé me réchauffer quand l'été se terminait.

Sa main dans la mienne essayait de réanimer avec ferveur ce corps vide de toute chaleur. Lorsque nous préparions à manger, dans une étreinte douce et bienveillante, elle me rappelait à quel point je n'étais pas seul. Et c'était vrai. J'aurais dû être comblé par chacun de ses gestes. Je me rappelle encore la première fois qu'elle m'a dit qu'elle m'aimait... C'est sans doute le souvenir le plus triste que j'ai auprès d'elle.

- Je t'aime, Damien, avait-elle chuchoté, le corps brûlant sous les couvertures duveteuses.

Son regard cherchait le mien, elle a pris ma main entre les siennes. Je me suis tourné pour me mettre sur le dos. J'ai fixé le plafond quelques minutes en me demandant bien comment j'allais pouvoir me sortir de ça sans la briser.

- Je sais que toi non, continua-t-elle d'une voix sans amertume, je sais aussi que c'est risqué, mais j'ai envie de croire que peut-être un jour tu réussiras à ressentir au moins un tant soit peu d'affection pour moi.

- C'est déjà le cas, Sophie, avais-je dit, sincère.

- Mais pas de la façon dont je le voudrais, n'est-ce pas ?

Tournant la tête vers elle, un soupire s'est arraché à moi sans que je ne puisse le retenir.

- Je sais, je sais, on n'est pas censé s'aimer. C'était le pari, combler les nuits de solitude de l'autre, plaisanta-t-elle.

- Je suis désolé...

- Ne le sois pas, on ne choisit pas qui on aime ou qui on n'aime pas. Mais je garde un peu espoir, dans un coin. Laissons le temps faire les choses. Je voulais juste que tu le saches. Tu as été honnête, à moi de l'être ; je t'aime.



Pourquoi n'était-ce pas suffisant ? Pourquoi n'ai-je pas réussi à lui rendre tout ce qu'elle me donnait si généreusement ? Pas au-delà d'une certaine mesure, en tout cas.

Pourquoi continuais-je à m'accrocher à ce mois de novembre, à cette rue où je t'ai laissé en pleurs, à ces mots si imperméables que je t'ai adressés ? Pourquoi alors que c'était de toute évidence ma faute, mon choix... je n'aurais pas dû avoir de regrets quand c'est moi qui ai sciemment décidé de briser ton cœur pour m'en aller plus léger.

Le vent de Novembre: mistral.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant