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J'étais malheureux.

C'est égoïste n'est-ce pas ? D'être malheureux après avoir brisé le cœur de quelqu'un pour son propre bonheur ?

Malheureusement, c'était la réalité. Je n'aspirais plus à rien d'autre que de remonter le temps. Je n'avais de cesse de me demander comment auraient été les choses si ce soir-là, je n'avais pas pris la mauvaise décision, guidé par la crainte. Si je t'avais dit la vérité sur mes sentiments.

Il fallait que j'en sois sûr. Que je tente le tout pour le tout.

Bien sûr, je sais qu'en réalité, je suis le seul responsable de ma propre condition. Mais malgré tout, ma peine est-elle moins légitime à cause de ça ?

J'ai essayé de me pardonner, en vain. Je crois que c'est la culpabilité qui a enchainé mon cœur.

J'en ai eu la preuve lorsque je t'ai parlé pour la dernière fois, il y a un peu plus d'un an. Que je t'ai regardé partir, et que j'ai vraiment pris conscience de toute la douleur que je t'avais infligée en tournant les talons ce soir de novembre.



- Il fallait que je te revoie... avais-je sangloté, impuissant. Je suis censé me marier dans deux mois, mais je ne t'ai jamais oubliée. Pas un seul instant je n'ai oublié tous ces moments... il le fallait, parce que je ne voulais pas risquer de me marier avec quelqu'un si mon cœur en voulait une autre, tu comprends ? avais-je déclaré dans un souffle, en tentant de croiser ton regard que tu n'avais de cesse de poser partout sauf sur moi.

- Donc tu t'es dit que revenir ici, après presque deux ans, au bras de ta fiancée, c'était une bonne idée ? avais-tu hurlé, le regard noir et les joues rosies autant par le froid qui les mordait que par la colère. Que me faire subir ça c'était nécessaire ? Comme si je n'avais pas déjà assez souffert ?

- Non... bien sûr que non, ce n'était pas une bonne idée... mais c'est la seule que j'ai eue, avais-je murmuré en prenant conscience de ta douleur. Parce que je ne me sens pas avec elle comme je me sentais auprès de toi : entier.

- Tu as deux ans de retard, Damien.

- Je sais, et j'en suis sincèrement désolé... comprends-moi, s'il te plait ! t'avais-je répondu d'un ton suppliant.

J'ai compris que je baignais en pleine folie quand j'ai posé mes doigts autour de son bras et qu'elle s'est dégagée vivement de leur contact. Elle me glissait des mains à nouveau, je la perdais alors que je l'avais tant cherché pendant ces presque deux années, dans tous les visages de Londres. J'avais commis une erreur impardonnable et je lui demandais sans le moindre scrupule, avec un culot déplacé, de me pardonner. Quel abruti faisais-je !

- Que je te comprenne ? t'étais-tu esclaffée la stupeur marquée sur le visage. As-tu seulement pensé à essayer de me comprendre moi ? Tu as disparu, du jour au lendemain, sans réelles explications si ce n'est que tu préférais partir à des milliers de kilomètres sans même me concerter. Je comprends que ton avenir soit important, mais on ne peut pas prétendre aimer quelqu'un et l'abandonner sans même un regard en arrière.

C'était trop tard pour les regrets. J'ai compris que je n'aurais pas dû essayer de te retenir, mais plutôt de te libérer. Toute cette souffrance que tu gardais en toi à cause d'une plaie que je t'avais laissée...

Si je t'aimais autant que je le croyais, je devais te laisser réécrire l'histoire et te rendre ta liberté.

- Va-t'en ! t'étais-tu écrié dans un dernier élan de courage. Va-t'en, par pitié !

Tout mon corps s'est déchiré en revoyant tes larmes et en me sachant à nouveau le responsable.

Alors, c'est ce que j'ai fait.

Dans le vent de novembre, ton nom s'est envolé. Comme l'écho d'un amour passé. Je l'ai prononcé une dernière fois, les larmes aux yeux, pour que l'automne le garde et m'en libère.



Lorsque j'ai retrouvé Sophie à l'hôtel que nous avions réservé ce soir-là, elle a su. Bien sûr qu'elle a su ! Et mes yeux rougis, mon air penaud, mon retard d'une heure pour aller au restaurant n'y étaient pour rien.

Elle l'a probablement deviné à l'instant où elle a franchi le seuil du bar restaurant. Peut-être même avant, quand j'ai insisté pour rentrer en France avec elle. Que j'ai lorgné sur la vitrine du bar restaurant quelques heures avant d'y entrer, te voyant servir des cafés et assiettes aux clients. Mais que j'avais protesté fermement pour ne pas m'y engouffrer lorsqu'elle me l'avait proposé. Attendant qu'elle s'absente pour lui dire que j'allais faire un tour, que je lui enverrai l'adresse où me retrouver. Elle l'a toujours su, car depuis le début je n'avais d'yeux que pour toi à travers les siens. C'était ta chaleur que je cherchais dans ses bras. C'était le goût désagréablement agréable de la nicotine que je voulais goûter sur ses lèvres.

La seule chose que j'y ai trouvée, c'est un confort que je n'ai jamais pu apprécier.

Elle a toujours su. 

Alors pour ça, je lui devais bien la liberté à elle aussi.

Le vent de Novembre: mistral.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant