Se laisser partir (II)

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" Pierre ! Pierre !"

         On l'appelait. Il entendait. Il entendait cette voix qui l'appelait mais il ne la reconnaissait pas. Il avait envie qu'elle se taise. Il était bien là où il était. Il ne savait pas où il était. Mais il était bien. Il avait envie de rester là, pour toujours. Il gardait les yeux fermés, avec l'envie de les fermer encore plus, de s'endormir, pour rester ici, ne plus partir. Mais il y avait cette voix qui le dérangeait, qui l'empêchait de se reposer. Il la haïssait. Il la trouvait égoïste de vouloir l'empêcher de se reposer. Il détestait encore plus cette voix parce qu'elle paraissait inquiète, angoissée. Alors que rien n'angoissait Pierre à ce moment là. Rien ne l'atteignait. Il était calme, reposé, dans une quiétude rare qui lui donnait envie de la laisser l'envelopper complètement, et de disparaître avec elle. Mais il y avait cette voix qui insistait, insistait, comme s'il y avait une urgence. Pierre avait envie de parler, de lui dire de se taire et de le laisser partir. Mais il n'y arrivait pas, comme s'il s'agissait d'une autre réalité, comme s'il ne pouvait plus faire agir son propre corps. Il avait les yeux fermés, et pourtant il voyait du blanc, partout, un blanc pur, neutre, détaché de toute réalité. Et Pierre ne comprenait pas pourquoi il y aurait pu y avoir quelque chose d'urgent, pourquoi il devrait répondre à cette voix qui l'interpellait sans cesse. Il en avait marre. Il avait envie de laisser tomber. D'arrêter d'écouter cette voix. D'abandonner. Et de dormir, de dormir, dormir, ça semblait être la seule solution pour être tranquille, pour atteindre un calme éternel. Mais quelque chose l'en empêchait. Cette voix sûrement. Et c'est seulement pour comprendre comment il pouvait l'arrêter qu'il commença à l'écouter, à essayer de mettre un sens à ce qui le dérangeait.

" Pierre ! Je t'en supplie Pierre ! Réveille toi, sois courageux, tiens bon, accroche toi, pour moi. Pierre s'il te plaît, j'ai besoin de toi, je ne peux pas vivre sans toi. Pierre, c'est Benjamin, c'est moi, je t'en prie écoute moi, reviens moi, Pierre ! "

         Pierre était dérangé, il n'avait plus envie d'arrêter cette voix depuis qu'elle avait évoqué un prénom qui lui réchauffait le cœur. Il n'avait à cet instant aucune idée de qui pouvait être Benjamin. Un seul prénom, comme si ça suffisait pour comprendre. Mais il avait directement senti que son cœur avait été touché. Il n'avait plus envie de faire taire cette voix mais il voulait toujours dormir. Il voulait se laisser aller, il voulait que cette voix se calme, lui prononce des mots agréables, doux à l'oreille, et l'accompagne dans son sommeil, il suffisait seulement qu'elle le berce et qu'il se laisse faire, se laisse emporter, sans aucune idée de savoir où, mais il ressentait le besoin de se laisser emporter, tirer par cette quiétude étrange, inhabituelle, voire incohérente. Mais cette voix ne se calmait pas, cette voix insistait, l'appelait, le demandait. Pierre ne comprenait pas comment quelqu'un pouvait être aussi sûr d'avoir besoin de lui. Il n'était rien. Il flottait bizarrement dans une réalité qui l'échappait. Il ne savait plus rien, ni ce qu'il était, ni où il était, ni ce qu'il était censé faire. Il voulait que tout s'arrête, même son cœur. Mais son cœur en décidait autrement, à chaque fois que cette voix revenait à l'assaut.

" Pierre! Mon Pierre... je suis si désolé, je voulais pas, tu es dans cet état à cause de moi, si tu savais comme je m'en veux, oh Pierre je t'en prie reviens, je dois m'excuser, je m'excuse, j'aurais dû, j'aurais dû, te le dire, te le dire plus tôt. Comme si c'était simple de l'avouer, comme si la peur de perdre notre amitié si précieuse n'était pas si forte, comme si ce n'était pas ce que j'avais de plus cher. Il y avait tant à perdre. Mais ce que je ne considérais pas assez c'est qu'il y avait tant à gagner. Oh Pierre pardonne moi, j'ai tant de fois voulu te le dire, mais c'est que maintenant, face à toi inerte que je prends conscience que la vie s'écoule trop vite, est trop imprévisible pour se permettre d'attendre. Je ne peux pas vivre sans toi. Je ne peux pas accepter une vie où tu n'es pas. Pierre, j'ai besoin de toi, parce que je t'aime..."

         Pierre ne voulait plus se laisser aller, ne voulait plus se faire emporter, ne voulait plus mourir. Il voulait ouvrir les yeux, il voulait serrer dans ses bras cette voix qui n'était plus que sanglots à côté de lui, paraissant si proche et en même temps si lointaine. Pierre savait qui était cette voix. Parce que oui, un seul prénom suffit, mais rien que sa voix aurait dû suffire. Un amour aussi profond ne s'oublie pas, même aussi proche de l'au-delà, un amour aussi profond empêche de partir. Et Pierre ouvrit les yeux, qui se posèrent directement sur cette voix qui l'avait sauvé de la mort, qui l'avait forcé à tenir bon et à revenir au lieu de se laisser partir. Les pleurs de Benjamin s'arrêtèrent dès que leurs regards se croisèrent. Il n'y eu rien de plus, parce que Pierre ne pouvait pas beaucoup bouger, et que Benjamin avait peur que n'importe quel mouvement de sa part ne fasse souffrir le blessé. Pierre sentit directement la souffrance dans l'entièreté de son corps, mais pas dans son cœur. Parce que dans cet échange de regard, il y avait tout, il y avait l'inquiétude de Benjamin, le soulagement de Pierre qui comprenait enfin ce qui lui arrivait, et surtout, surtout, l'amour inconditionnel que chacun portait à l'autre, et ce regard suffit pour qu'ils se comprennent, sans un mot, ils se déclarèrent en se regardant, ils se comprenaient si facilement, parce qu'ils partageaient un même sentiment, immense, infini, et protecteur, ils s'aiment et il n'y a plus que ça qui compte pour Benjamin et Pierre, ils sont vivants, ensembles et s'aiment.

RECUEIL OS VERRECROCE  - Hors vidéosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant