Etre la personne de sa vie (II)

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Pierre était pressé. Son train avait déjà eu assez de retard comme ça, et il sentait au fond de lui qu'il fallait qu'il se dépêche. Il faisait plus que tout confiance à Fred. Et Fred lui avait dit que Benjamin n'avait pas l'air bien, enfin encore moins que d'habitude. Pierre s'en voulait déjà assez de n'avoir rien fait pour lui, il n'allait pas laisser passé cette fois-ci. Fred lui avait dit qu'il ne le sentait vraiment pas bien cette fois, à tel point qu'il s'était proposé de se déplacer de Bourg-lès-Valence ou il était parti la veille pour retourner voir Benjamin. Mais Pierre avait facilement décalé son train, pour aller le voir, lui faire une surprise, être sûr qu'il va bien.

C'est heureux et anxieux qu'il sonna à la porte de son ami puis frappa, n'obtenant pas de réponse . Celle-ci se poussa légèrement sous son impulsion, et il se glissa à l'intérieur, craignant ce qu'il y verrait. Tout passait dans sa tête à cet l'instant, en première place un kidnapping ou un cambriolage. Il distingua une forme sur le canapé de son ami, grâce à la lumière du bureau dans le coin de la pièce. Il s'empressa d'allumer la lampe de son téléphone, ne voulant pas enclencher le grand éclairage trop intense de la lumière du salon. Benjamin était bien là, il semblait endormi, à moitié affalé sur lui même, dans une position que Pierre jugea très inconfortable, un stylo encore posé au creux de sa main ouverte, comme attendant d'être saisie. Pierre s'approcha de lui, le prit délicatement par les épaules, et l'allongea plus confortablement sur le canapé. Benjamin était très pale, ses joues semblaient plus creuses que d'habitude, et son visage était encore humide. Pierre vérifia sa respiration et son pouls, et, enfin un peu rassuré, il entreprit de mettre un peu d'ordre, laissant Benjamin se reposer. Le salon était dans un désordre qui n'aurait pas été choquant dans son propre appartement, mais qui était très inhabituel pour le brun. Et mauvais signe. Les idées de Pierre tournaient dans sa tête alors qu'il s'afferait pour ranger un peu, il réfléchissait, essayant de comprendre ce qui pouvait mettre Benjamin dans cet état, et il essayait de trouver ce qu'il allait lui dire quand il se réveillerait. Puis vint le moment où il s'approcha vers le bureau, toujours la seule lumière allumée, pour y déposer le stylo. Le bureau était impeccablement rangé, ce qui surprit Pierre vu l'état du reste de la pièce avant son intervention. Et les feuilles impeccablement alignées, attirèrent son attention. Les premières étaient datées, toutes de cette semaine, il les souleva une à une il y en avait au moins une vingtaine. Son regard s'attarda indiscrètement sur les deux dernières, qui n'étaient pas datées. Il ne put s'en empêcher. Il était trop curieux. Il voulait savoir ce qui préoccupait son ami endormi profondément dans le canapé, alors il lut.

Il pleurait quand la respiration très forte et saccadée de Benjamin le ramena sur terre. Il se redressa en sursautant, et reposa brutalement les feuilles sur le bureau pour se précipiter vers son ami. Il était perdu, il avait l'impression que son ami était mort. C'était écrit, noir sur blanc, qu'il en avait l'envie. Et Pierre se l'était très douloureusement imaginé en lisant. Il avait même eu l'impression de se reconnaître dans certains mots. Et il se retrouvait là, à genoux, contemplant le visage de cette personne qui représentait sa vie, et qui voulait elle mettre un terme à la sienne. Benjamin respirait difficilement, et transpirait beaucoup. Le rythme cardiaque de Pierre augmenta, ne pouvant s'imaginer autre chose que le pire, et il passa ses mains qu'il espérait fraîches sur le visage de son ami lui caressait doucement ses joues, lui chuchotant doucement que tout allait bien, qu'il fallait s'accrocher, et que tout irait mieux. Benjamin, dans son cauchemar, ne sembla pas le croire puisqu'il eu un sursaut et ses mains saisirent désespérément le t-shirt de Pierre, comme une bouée de sauvetage. Pierre pleurait, encore, il se sentait impuissant. Il se redressa difficilement pour se glisser dans une position un peu plus confortable à moitié sur le canapé, Benjamin tenant toujours fermement son t-shirt mais un peu calmé. Pierre déposa ses mains sur celles de son ami, et les serra contre son cœur. Il s'endormit dans cette position, quand toutes ses larmes furent sorties.

Il se réveilla quelques heures plus tard, par des caresses dans ses cheveux. Il mit un peu de temps à se souvenir d'où il était, il se retrouvait sur un canapé, la tête posée sur le torse de Benjamin. D'un coup tout lui revint, et la peur de perdre la personne qui donnait un sens à sa vie lui reprit la gorge aussi violemment que la vieille. Il se redressa un peu rapidement, les yeux humides, et posa son regard sur le visage de Benjamin qui le regardait de ses yeux fatigués et perdus. Pierre prit immédiatement la parole, il avait besoin d'extérioriser, il avait besoin de savoir comment allait son ami, il devait savoir s'il avait pris sa décision.

" C'est Fred, c'est Fred qui m'a dit que tu n'allais pas bien, alors moi euh, j'ai voulu vérifier, parce que bah, je tiens à toi tu vois? Alors je suis venu, t'avais laissé la porte ouverte, je me suis permis de rentrer je suis désolé, mais tu dormais et j'ai voulu t'aider, je savais pas quoi faire alors j'ai rangé et - "

Pierre interrompit son débit de parole si rapide lorsqu'il sentit la main de Benjamin qui glissa son pouce contre sa joue, là où une larme s'était échappée :

" Tu as lu? lui demanda-t-il calmement

- Pas toute! Juste les dernières, avoua Pierre en baissant les yeux, je voulais pas je te jure, mais c'était la seule lumière allumée, ça m'a attiré, j'ai pas réussi à me retenir!" rajouta-t-il précipitamment

Benjamin se redressa sur le canapé, forçant Pierre à s'asseoir également. Benjamin avait l'air perdu, les yeux dans les vagues, ne disant plus rien, Pierre lui prit la main et se rendit compte par la même occasion que sa propre main tremblait légèrement. La peur de perdre Benjamin était trop forte, elle l'étouffait, plus rien ne comptait plus pour Pierre que de tout dire à Benjamin avant que celui-ci ne disparaisse, et de tout faire pour qu'il ne fasse pas ce choix. Il reprit la parole cette fois-ci plus doucement, cherchant ses mots pour faire passer au mieux son message et son ressenti :

" Tu sais Ben, je crois que je te comprends. Je te comprends bien, parce que j'ai l'impression de vivre cela. Je crois que j'ai rencontré aussi la personne qui donne un sens à ma vie, mais je ne l'avais pas réalisé avant hier. Je crois que j'étais dans le déni, ça aurait peut-être fait plus mal de reconnaître mon amour à sens unique. Repense à ce que tu as écris, et s'il te plaît, ne mets pas fin à ta vie, je t'en supplie, ne mets pas fin à la vie de la personne qui est la plus belle chose de ma vie comme tu l'écris si bien, qui est la rencontre qui a changé ma vie, et sans laquelle je ne peux vivre, s'étrangla Pierre, avant de reprendre, ses yeux rivés sur le sol, sans voir que le visage de Benjamin reprenait peu à peu vie avec un sourire timide, c'est peut-être égoïste de te l'avouer maintenant, j'en ai bien conscience, mais je me dis que peut-être je peux essayer de t'aider à aller mieux? J'aimerais tout faire pour que tu ailles mieux, n'importe quoi, dis moi, mais ne reste pas seul dans cette tristesse tu ne la mérites pas je t'assure... "

N'importe quel esprit, le plus simplet soit-il, aurait directement associé la personne qu'évoque Benjamin dans ses écrits à Pierre. Mais le principal concerné lui, était aveuglé par la peur de perdre son brun qu'il n'avait jamais vu aussi mal qu'hier en arrivant. Il fallu que Benjamin rassemble le peu d'énergie qui lui restait de sa semaine où il avait décidé d'en finir, pour aiguiller Pierre :

" Pierre, regarde moi "

Au son de la voix faible de son ami, Pierre releva les yeux vers lui, et découvrit le regard qui était redevenu pétillant et plein d'espoir de Benjamin, contrastant avec la pâleur de son visage et ses traits fatigués. Il lui sourit timidement :

" Pierre, qui veux-tu que ce soit d'autre que toi la personne dont je parle? " souffla Benjamin, comme libéré.

Benjamin put lire sur le visage si expressif de Pierre toutes ses émotions, d'abord l'incompréhension, l'assimilation, puis la surprise, la joie et enfin l'amour, quoique cette dernière était peut-être là depuis toujours mais restée cacher. Ils se dévorèrent quelques minutes des yeux, sans rien rajouter, puis Pierre l'attrapa pour le serrer dans ses bras, et pleura, de nouveau. Benjamin lui, était déjà sec de larmes, mais le serra en retour avec le peu de forces qu'il lui restait. Il n'avait pas mangé depuis longtemps, ses journées s'étaient déroulées que dans la déprime, et ses nuits avaient été peuplé de cauchemars. Mais là, au creux des bras de Pierre, il pensa qu'enfin il aurait peut-être le droit d'être heureux, c'est-à-dire le droit de vivre avec la personne qui avait changé sa vie, et qui continuait de l'embellir.

RECUEIL OS VERRECROCE  - Hors vidéosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant