Chapitre 6 : Enfants

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J'esquisse un sourire à la fois attendri et amusé. Si je suis quelqu'un de bien ? Tout est relatif, mais je suppose que j'essaie de l'être le plus possible en agissant de manière juste.

«-Vous n'avez pas l'air tellement plus âgé que moi et pourtant vous travaillez déjà... Quel âge avez-vous ?»

Je m'efforce de parler avec un peu plus de franchise, en omettant un "sans vouloir paraître indiscret" qui me démange la langue. Mes parents et grands-parents ont toujours exigé de moi que je sois le plus respectueux possible ; je n'avais jamais remarqué à quel point c'était superficiel et souvent inutile.

«-J'ai 19 ans. J'ai passé mon baccalauréat à 16 ans et comme c'était un an après l'accident de ma grand-mère et que nous n'avions plus un sou pour me payer des études, j'ai repris la boutique sans hésitation.
-Le bac à 16 ans !! Ça alors... C'est hors du commun.
-Les cours, ce n'était vraiment pas fait pour moi. Tout me semblait si évident. Sauf pour la Sociologie, les enseignements artistiques et le sport... mes plus gros et seuls points faibles.»

Je ne peux m'empêcher de penser que j'ai l'impression de parler à un surdoué ; il semble si sûr de lui mais n'a aucun mal à me convaincre.

Le bus que nous attendions s'arrête devant nous en ouvrant ses portes. Hojin entre dedans promptement, fait valider une carte d'abonnement, et je le suis en l'imitant avant de plonger mes mains dans mes poches. Nous nous asseyons sur les deux sièges les plus proches et sentons le véhicule démarrer dans une secousse inconfortable. Les arrêts défilent sans que nous ne parlions et, alors que le quatrième arrêt se rapproche, nous entendons un passager s'exclamer sans retenue du fond du bus :

«-Merde y'a les contrôleurs !»

Les personnes du bus sortent d'un même geste leurs tickets et cartes d'abonnement alors que certaines lâchent des injures et des soupirs. Le bus s'arrête et les contrôleurs bloquent les portes en demandant à tout le petit monde de montrer son justificatif de paiement. Alors que nous tendons nos cartes en direction d'une femme qui n'a pas forcément l'air enjouée de faire cette besogne, la même personne qui s'était plainte juste avant se met à crier sans raison sur un contrôleur. Sa voix résonne d'insultes et les contrôleurs tentent de le calmer avec peine.

J'étais plongé dans mes pensées, m'imaginant lui mettre une gifle et un coup de pied au derrière en lui retournant ses insultes ridicules, et je n'avais pas remarqué qu'à côté de moi, Hojin s'était couvert les oreilles de ses mains. Recroquevillé sur lui-même, je le vois grimacer en jetant des regards paniqués aux alentours. Je le dévisage un instant, hésitant à lui demander ce qu'il se passe, mais finis par me redresser et observer la situation dans ses détails.
En face de nous, un bébé en poussette s'est mis à pleurer.
Un vieillard tente de composter son ticket en profitant de la dispute, recevant pour chaque essai le bruit insupportable signalant que ça n'a pas fonctionné.
Les contrôleurs commencent à leur tour à s'énerver contre l'homme qui ne cesse de beugler.
Le chauffeur s'impatiente et demande des explications.
Un enfant joue avec les clés de sa mère dans un enchaînement de cliquetis aigus.

Un brouhaha que j'entends à peine tant il est noyé par mes pensées. Je suis tellement habitué à ce genre de situations désagréables, et personne dans le bus n'a l'air de remarquer à quel point le niveau sonore s'est élevé. Cela dit, je ne l'aurais pas forcément constaté si, à côté de moi, Hojin ne s'était pas mis à exprimer une nervosité incontrôlable et croissante.

Dans un réflexe, je le vois enfiler son casque sans fil et fermer les yeux, la jambe tressautant à nouveau en attente d'un nouveau calme.
Je récupère les deux cartes que me tend la contrôleuse en gardant un œil sur Hojin qui essaie de réguler sa respiration.

☁️Constellations ~ Eden et Hojin☁️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant