Banta et la tortue qui chante

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Banta était le chasseur le plus

redoutable de la savane. Tout animal

qui passait à portée de sa lance

pouvait se considérer comme mort,

dépouillé et rôti. Banta faisait f de

l'ancienne croyance selon laquelle

l'homme qui tue une femelle gravide ou

accompagnée de son petit périra lui-

même sans descendance. Au

demeurant, Banta était père de trois

beaux enfants.

Chaque soir, il rentrait chez lui chargé

de gibier, portant autour de son cou

des renards et des écureuils, dans les

sacs attachés à sa ceinture des lièvres

et des pigeons, et tirant par les pieds

un zèbre ou une antilope. Il tuait plus

que lui et les siens ne pouvaient

manger par goût du sang et du

meurtre, pour le seul plaisir de tuer.

Banta aimait aussi à se vanter et nul ne

pouvait le faire taire lorsqu'il se lançait dans le récit de ses carnages.

Aujourd'hui, les animaux de la brousse se réunissent sous un manguier pour tenir

conseil. Il est temps de réagir et de mettre hors d'état de nuire cet exterminateur avant

que tous ne succombent, frappés par sa lance ou étranglés par ses collets. Mais qui

osera affronter Banta le chasseur ? Le lion baisse la tête, très intéressé tout à coup par

une fourmi qui passe entre ses pattes. Le rhinocéros a justement à faire ailleurs, un

rendez-vous de la plus haute importance pour sa carrière de rhinocéros et l'éléphant se

sent bien faible. Il n'est pas le seul malade.

- Moi aussi j'ai dû attraper froid, dit le serpent.

Quant au charognard, il aura sans doute mangé de la viande trop fraîche.

En somme, nul n'est assez fou pour défer Banta le chasseur. Le carnage va continuer.

Le sang des animaux de la savane coulera jusqu'à la dernière goutte. C'est alors

qu'une toute petite tortue se porte volontaire. Elle demande seulement aux autres

animaux de rester cachés le lendemain, de ne quitter sous aucun prétexte leurs gîtes,

leurs terriers, leurs tanières.

Banta bat les buissons avec un bâton, il soulève chaque pierre, puis il renverse la tête et

fxe éperdument le ciel vide. Jamais la savane n'avait été si calme. En vain cherche-t-il

des empreintes dans le sable ou la poussière. Pas un souffe de vie, pas un bruit d'aile.

Pas un crocodile dans les marigots. Le soir venu, bredouille pour la première fois, Banta

se résigne à prendre le chemin du retour, le cœur empli de colère et d'amertume.

Il n'a pas rêvé. Il a bien entendu les notes claires d'une kora, d'abord ; puis un chant

mélodieux semble provenir de ce bouquet de hautes herbes. Intrigué, Banta s'approche

prudemment : c'est une toute petite tortue qui chante en pinçant avec allégresse les

cordes de son instrument. Voilà qui amusera mes enfants , se dit Banta, et fera peut-être

oublier l'insuccès de ma chasse. Et il fourre la tortue dans un sac.

- Tu ne ramènes donc pas de gibier ? S'écrie son fls en le voyant entrer dans la cour de

la concession.

- J'ai mieux, répond Banta. Grâce à ma ruse et à mon adresse, j'ai capturé une tortue

qui chante. Écoutez-la.

Et devant la famille et les voisins réunis, la tortue docilement se met à jouer de son

instrument et à chanter. Banta reçoit les applaudissements comme s'ils lui étaient

adressés.

- Je tiens avec cette tortue une belle occasion de briller devant le roi, pense-t-il.

Le lendemain, il se présente au palais et demande audience.

- J'ai dressé cette petite tortue à chanter pour vous, noble roi.

- Reviens ce soir. Elle chantera devant la cour.

Et voici la cour rassemblée. Banta tient dans ses mains la tortue prodigieuse. Avec un

sourire de triomphe, il l'installe sur un tabouret et pose sa kora devant elle.

- Vas-y, chante.

Mais la tortue reste muette.

- Chante, allez !

Mais la tortue reste muette.

- Chante, allez !

Mais la tortue lentement rétracte sa tête et ses pattes dans sa carapace. « Honte sur

Benta ! » crache le roi qui n'apprécie guère que l'on se moque de lui. Il ordonne

l'exécution du fanfaron. Une potence est dressée sur-le-champ.

Voici Banta à son tour pris au collet. Il suffoque et se débat, mais inexorablement, il

meurt. Et comme une ultime convulsion tord son corps supplicié, dans le silence funèbre,

une kora soudain égrène quelques notes cristallines. Puis, une petite voix entonne un

chant étrange et gai, tandis que Banta grimaçant rend son dernier soupir.

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