Que reste-t-il de nos amours ?

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Temps de lecture : 3 minutes
Genre : instants de vie

Avant lui, je ne savais pas trop ce que j'étais. Après lui, est-ce pire ? Je l'ignore. Mais je n'aime pas parler de moi, alors je vais vous parler de lui, de notre histoire.

À l'époque, il avait seize ans. Il était plutôt beau garçon. Le genre cool, avec sa chemise à carreaux et son bermuda, le type qu'on verrait bien vendre des beignets sur les plages l'été. J'ai tout de suite remarqué ses yeux bleus. Ils m'ont fait craquer. Ses cheveux en bataille, cet air sympathique, ce sourire au coin des lèvres. Irrésistible. On s'est rencontré à la boutique. On en est reparti ensemble et on ne s'est plus jamais quitté.

Je m'en souviens comme si c'était hier. Je le voyais hésiter, se demander ce qui serait le mieux. Il était venu seul, il ne voulait pas un de ses vieux pour l'emmerder. Tant mieux, moi non plus. On était là, tranquille, tous les deux. Il est resté un long moment à me regarder sans rien dire et ça s'est fait. Très vite, il n'a plus pu se passer de moi. On partageait beaucoup de temps tous les deux. N'importe où. À la maison, au parc, au lycée... L'important était qu'on soit ensemble.

On s'est apprivoisé comme ça. Au fil de ses envies et de ses caresses. Il aimait la musique contemporaine, mais pas besoin de le titiller beaucoup pour qu'il me fredonne quelques classiques du blues américain. Je l'ai découvert mélancolique, insolent, stupide, rebelle. J'ai assisté à des crises avec ses parents. J'ai entendu ce vent de liberté qui soufflait dans sa tête. Il me racontait ses problèmes. Il était incisif, assoiffé de justice. Je le rêvais capitaine de frégate que rien n'arrêterait, brandissant notre étendard sur chaque nouveau territoire conquis. Lui, il se voyait décrocher la lune et quelques étoiles, par la même occasion.

Un jour, il s'est mis à écrire des chansons. Plutôt devrais-je dire on. Qu'est-ce qu'elles étaient belles ces chansons ! Quand il hésitait, j'étais systématiquement d'accord avec lui. Quoi qu'il propose, je suivais. J'aurais été incapable de faire autrement de toute façon.

Puis, il a commencé à se donner en spectacle. Les filles aimaient ça. Il devenait plus sage, toujours plus séduisant, il plaisait. J'étais jalouse. Mais il faut avouer que c'était un peu à cause de moi tout ça. Je mettais l'ambiance, je fixais l'attention. Bref, j'étais la bonne excuse pour l'aborder.

Après le bac, il a continué ses études. Il est devenu un brillant homme d'affaires. De ce que j'ai entendu dire, il décrochait contrat sur contrat. Il n'était plus le même, avait un peu oublié ses promesses. Son attitude avait changé. Il faisait beaucoup la fête pour célébrer ses victoires. Sans moi. Il me laissait dans mon coin. Ça me rendait triste. Je prenais de l'âge, ne l'attirais plus autant et il avait autre chose à faire.

Puis un jour, il a pleuré beaucoup. Il est revenu vers moi, doucement. J'étais si heureuse. Le 21 juin suivant, on est sorti. Je pensais qu'on ne se lâcherait plus, comme avant. Loupé. Dès que son regard s'est posé sur elle, j'ai compris. C'était le même que pour moi, la première fois. C'était elle son avenir. Elle était violoniste, avait une voix de velours. Des yeux verts. Elle était institutrice. Je l'ai tout de suite aimée. Elle aussi je crois. Elle a bien senti ce froid entre nous deux, elle a tenté de nous rabibocher, mais le cœur n'y était plus. Ma peine l'a touchée alors elle a essayé à son tour de se rapprocher de moi, mais ça n'a pas fonctionné. Je ne pouvais appartenir qu'à lui. À personne d'autre.

Voilà, c'est la fin de l'histoire de la vieille guitare qui traîne déjà depuis cinq ans dans ce débarras. Eh, je vous vois là. Je n'ai jamais dit que c'était une belle histoire.

Je ne sais pas ce que je vais devenir. J'ai peur. Je devine qu'il y a du changement dehors. J'ai entendu des coups de marteaux, des déplacements de meubles et de drôles de piaillements... Attendez... On ouvre la porte et quelqu'un me prend par le manche. Vous m'excusez, je ne vois pas grand-chose, il fait noir. On sort. C'est lui ! On arrive dans un lieu que je ne connais pas. Tout est rose. Je ne comprends pas trop d'où ça vient exactement, mais les cris que je percevais depuis le débarras proviennent de cette chambre. Mais... ah ! Enfin ! Ses mains se posent sur moi. Il retrouve ses marques, il n'a rien oublié de nous. J'aime cette berceuse. Il sourit. Pas à moi, mais il sourit. Le calme est revenu.

L'histoire de la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant