Sympathique

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Temps de lecture : 5 minutes
Genre : romance, humour, instants de vie

Voilà ce que tout le monde me dit après chaque rupture. Ne t'en fais pas, tu retrouveras quelqu'un, tu es si sympathique. Mais moi j'en ai marre ! Je veux être une femme, je veux être une mère. Je ne veux pas être une sex friends ou je ne sais quoi. J'ai 32 ans. Et ne nous le cachons pas, j'en ai déjà bien profité. Mais aujourd'hui...

J'ai saisi l'occasion de me changer les idées après cette énième séparation. Encore un coup pour rien si j'ose dire. J'aurais dû m'en douter. En même temps. J'ai tout essayé ! De toutes les tailles, de toutes les couleurs. Des musiciens, des commerciaux, des maçons et même... un croque-mort ! (croyez-le ou pas, c'est avec lui que je me suis le plus marrée). Des célibataires endurcis, des mariés, des divorcés... Mais rien n'y fait, je désespère de trouver un jour chaussure à mon pied. Lui, il était vendeur chez Bata pourtant. Mais surtout casse-couilles. Là, c'est moi qui ai décidé de le quitter, une fois n'est pas coutume. Il m'écrivait des poésies, m'invitait à des récitals, faut pas exagérer non plus. C'était quoi la prochaine étape ? Le concert de Nana Mouskouri ? (notez que je n'ai rien contre elle, mais je n'ai pas spécialement envie d'assister à deux heures de ses prouesses vocales)

J'ai donc fait mes valises pour passer quelques jours dans les Vosges à l'occasion du mariage d'une amie. Je suis partie très tôt mercredi matin et je suis arrivée vers 10 h 30. J'avais besoin d'air. Et d'inspiration. Je bosse sur un roman. Je l'ai commencé il y a quelques mois, en ai sorti une première version. Pas convaincante. Le premier jet, ce n'est jamais convaincant de toute façon. Cette histoire est bancale, il me faut la remettre debout. J'ai repris toutes mes fiches personnages, ma bibliographie. Et j'ai accès à internet au chalet.

Le chalet. Mot utilisé pour désigner une jolie maisonnette perdue dans la montagne, et où on est libre de ne penser à rien. C'est celui d'un ami. Le genre de personne de qui on dirait qu'on serait prêt à mettre sa vie dans ses mains. Je le connais depuis le lycée. J'ai essayé avec lui aussi sans succès. Il s'est marié l'année dernière. Avec sa colocataire. Comme quoi parfois, il faut peut-être seulement attendre que le destin vous donne un coup de pouce.

Théo m'a apporté les clés la veille de mon départ, pendant que je préparais mes valises. J'étais déjà venu avec lui du temps où l'on était vraiment très proche. Maintenant c'est plus compliqué, mais ça reste ce qui ressemble le plus à un meilleur ami. Toujours présent quand on a besoin de lui, qui ne juge pas, mais de bon conseil si nécessaire. Celui avec qui on refait le monde autour d'un café.

Je souffle. Deux jours que je suis là, mais j'ai dû mal à avancer. Je me suis mise sur le balcon. Je m'interdis de fumer à l'intérieur, surtout quand je ne suis pas chez moi. Et puis, ça me fait bizarre d'être ici, j'ai l'impression de violer l'intimité de Théo et même celle de sa femme par la même occasion. C'est un jeune couple qui respire le bonheur. Mais les apparences sont parfois trompeuses et je me demande à quoi peut bien ressembler leur quotidien. Moi, je ne sais pas. Je n'ai jamais eu une relation assez longue pour en ressentir ne serait ce que le goût. Mais ce n'est pas l'envie qui m'en manque.

Je regarde les coteaux. On est au mois de mai. Les jonquilles sont déjà fanées. Dommage... C'est si beau lorsque le jaune de leurs pétales s'étend à perte de vue. Les hêtres, les bouleaux et les chênes retrouvent leur vert tendre. J'aime ce paysage. Je préfère largement être là plutôt qu'à Gérardmer, bien que je prenne plaisir à y flâner de temps en temps. C'est un autre aspect de la région, plus touristique. Pas désagréable. Quand le lac scintille aux rayons du soleil, observer les promeneurs. Les amoureux qui se tiennent par la main, les enfants qui jouent avec l'eau qui s'échappe de la fontaine, les anciens assis sur un banc pour simplement admirer la vue. J'aime capter ces instants volés à leurs vies.

Je respire longuement. L'envie de travailler ne vient pas alors je décide d'embarquer mon reflex et de partir en forêt. Le soleil se couche. Je prends le sentier qui se trouve à quelques mètres de la maison et en l'espace d'une seconde, je suis ailleurs. Une belle lumière se fraye un chemin entre les branches. L'écriture, c'est quelque chose, mais la photo... C'est tout un art pour parvenir à capturer l'exacte impression que je veux et pas une autre. Je commence à faire quelques clichés.

J'ai eu une grosse période de fatigue, mais là, je me sens bien. J'ai focalisé mon attention sur de fines gouttes qui suintent de la roche. Captivée, je ne l'entends même pas arriver. J'ai un tel sursaut que je tombe presque dans le vide. Il me rattrape de justesse.

— Nicolas ?

Je le reconnais tout de suite.

— Clémence ? Je rêve pas ?

J'ai passé un bon moment avec lui. C'était il y a six mois de ça. Il est informaticien et était en déplacement sur Villeneuve d'Ascq. Je venais pour un séminaire. On s'était rencontré à l'accueil de l'hôtel. On attendait comme deux idiots quand finalement il m'a abordé. Grand, brun, plus proche des 40 que des 30 ans. Pas vraiment mon style. En même temps, je n'ai pas vraiment de style. Avec moi, il faut que ça accroche ou pas. Nous avons diné ensemble. Il m'a parlé de son job, de sport, de littérature. J'aimais l'écouter, mais je gardais la tête sur les épaules. J'avais bien remarqué l'alliance à son annulaire gauche. Je ne me faisais pas d'illusions. Je l'ai quand même invité à venir dans ma chambre pour continuer à discuter. On était tellement bien que l'on en aurait presque oublié de faire l'amour. Noter bien le presque. Quand je me suis réveillée, j'avais un petit pincement au cœur. On s'est quitté sans rien se promettre, sans même échanger nos numéros. Cette aventure, c'est le début de mon roman. Tout le reste n'est que pure invention de ma part.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Je te renvoie la question.

Je lui explique les raisons de ma venue, et lui m'annonce qu'il habite tout simplement le village. C'est sa région natale. Il travaille dans une société sur Épinal.

— Comment vas-tu ? osé-je demander.

Ses lèvres s'étirent.

— Mieux que la dernière fois.

Quand on s'était vu, on n'avait pas beaucoup parlé de nous, mais j'avais bien deviné qu'il n'était pas au top, qu'il avait besoin de tendresse et de réconfort, comme moi. Peut-être des soucis avec sa femme. Cela a dû s'arranger depuis visiblement. Je lui souris à contrecœur.

— Ravie de l'apprendre.

Il remet en place une des mèches de cheveux qui me cachent les yeux. Ça me surprend. La fraîcheur du soir commence à s'installer et j'apprécie la chaleur de sa main sur ma joue. À quel jeu joue-t-il ? Il ancre son regard dans le mien. Je pourrais tout lâcher, pour lui, là d'un coup. Partir sur un coup de tête, vivre ici. Il n'y a que lui et moi. Et j'aime ça, comme je n'ai jamais aimé. Après quelques instants, qui auraient pu être des heures, il me prend par le bras et je le suis telle une adolescente, subjuguée par le charme de son premier flirt.

Il m'explique qu'il venait de se séparer à l'époque où on s'est rencontré. Qu'il avait fait le con avec sa femme et que le temps qu'il s'en rende compte, il n'y avait plus de morceaux à recoller. Certaines situations vous mettent à l'épreuve. Et parfois, on y réchappe pas.

— Ça ne pouvait plus durer. C'est comme ça.

Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Diverses émotions m'envahissent tout à coup. Et s'il ressentait la même chose que moi ? Ce serait trop beau pour être vrai. Il faut que j'en aie le cœur net.

— Pourquoi tu me racontes tout ça ?

— Ça va te paraître con, mais j'ai beaucoup pensé à toi.

Con, oui. Mais ça me touche. Je n'ai pas réussi à l'oublier moi non plus.

Nous quittons la forêt et il me raccompagne maintenant jusqu'au chalet. Je vois bien qu'il veut m'embrasser. Je me sens mal, j'ai la nausée, ma tête se met à tourner et je tombe dans les pommes.

Demain, nous serons samedi. Je vais aller au mariage comme prévu, mais je dois trouver une nouvelle tenue. Je ne suis plus seule, je suis enceinte de six mois. De Nicolas, oui, bien sûr ! On appelle ça un déni de grossesse. J'imagine la surprise des invités que je connais, et surtout celle de mon meilleur ami lorsque je lui rendrai les clés. J'ai hâte de vous raconter ça.

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