Pas pour moi

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Temps de lecture : 9 minutes
Genre : romance

Avant de m'en aller, je salue les autres employés qui, comme moi, restent le plus tard possible. Pas forcément parce qu'ils sont passionnés par leur travail, mais aussi et surtout parce qu'ils ont quelque chose à fuir. Un mari avec lequel ils n'arrivent plus à communiquer, une mère envahissante, un colocataire devenu encombrant. Moi, c'est tout le contraire. Je fuis la solitude.

Rentrer et me retrouver en tête à tête avec moi-même, une fois de plus, ce soir, c'est trop. Alors, je pourrais sortir. Faire un ciné, aller au sport avec les copines, mais j'ai le sentiment que je n'ai plus l'âge. Plus l'âge où on appelle ses amies à la dernière minute et qu'elles sont ravies de vous entendre, ravies d'enfiler leur veste à la va-vite et de vous donner rendez-vous au bar du coin dans les cinq minutes. Ce plaisir reviendra certainement... plus tard. Pour l'instant, j'ai rêvé de liberté et je me suis prise à mon propre piège. La routine.

Cette agence, ce n'est peut-être pas la panacée, mais j'ai quitté mon ancien travail pour elle. Au départ, pour une meilleure gestion de mes horaires, pour une entreprise à taille humaine, pour la qualité du relationnel... Maintenant, je ne sais plus. Comment peut-on s'éloigner autant de l'idéal que l'on s'est fixé ? Pourquoi, dès que ma vie prend une nouvelle direction, je finis par me dire « ben non finalement... Pas pour moi » ? J'étais si sûre, cette fois, de ce que je voulais. À quel moment, ça a merdé ? Je n'ai aucune raison de ressentir ça et pourtant, c'est comme si j'occupais le corps de quelqu'un d'autre. Comme une Bridget Jones qui aurait mal tourné. Prisonnière de mes chaînes, je ne vois pas comment m'en sortir.

L'antre du boss se situe au bout du couloir, la mienne non loin de là. Je passe donc devant chacun des bureaux avant d'arriver jusqu'à la porte qui nous sépare de l'accueil au public. Contrairement à mon ancien travail, ici, nous ne sommes que trois par pièce au maximum et à cause de mes habitudes d'open space, cette intimité excessive est presque troublante. Les locaux ne sont pas de toute première fraîcheur et j'ai d'ailleurs entendu dire que cela fait quinze ans qu'on parle de rénovations. L'espoir fait vivre. Dans tous les cas, on y survit très bien. J'ai toujours adoré le côté kitch des années 80 et mon collègue du bureau d'en face, Michel, a même décidé d'en conserver la moustache et la coupe de cheveux. Que demander de plus ?

Là, Joachim attend patiemment que la photocopieuse lui jette à la gueule son dossier. Cela fait un moment qu'il est ici, je veux dire dans l'entreprise, pas à côté de la photocopieuse. Il a appris vite et sa conscience professionnelle épate tout le monde, spécialement le chef. Lèche-cul, vous pensez ? Non, maso plutôt, je crois. Chacun son délire. Cela va sans dire que toutes ses bonnes qualités d'adaptation lui auraient presque permis de se fondre dans le paysage. Sans son mètre quatre-vingt-dix-sept... Enfin, je dis ça, mais je ne travaille moi-même que très rarement avec lui.

Le grand blond au physique d'adolescent partage le bureau de Monique et Olivier. De leur point de vue, il brille par son ambition, mais pas seulement. Son capital sympathie n'est pas à négliger. Le fourbe. Si la conjoncture le permettait et qu'il continuait de bosser, il grimperait rapidement les échelons. C'est le genre d'homme que je respecte et dont, en même temps, je suis persuadée qu'il se changera en requin qui n'épargnera rien ni personne sur son passage. Un connard quoi ? Non, un mec malheureux. Le type qui, à la longue, deviendra de moins en moins fréquentable, que je trouverai de moins en moins admirable, mais que je jalouserai quand même d'avoir eu la carrière que je n'aurai pas su avoir. Agaçant.

Le dernier dossier de la journée. Le dernier dans cette boîte. Je me demande même si quelqu'un va se rendre compte de ma disparition demain. Peut-être que certains me penseront malade ou en vacances, mais ils mettront probablement un certain temps à poser la question à la RH.

L'histoire de la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant