Je n'eus plus de nouvelles de Sam pendant deux jours, et pourtant notre entrevue était restée ancrée dans mon crâne. Il n'aurait pas voulu que tu restes seule. Peut-être, mais je suis mieux isolée de tout ce qui me rappelait mon ancienne vie. Pourquoi serions-nous toujours d'honorer les volontés des morts ? Parce que c'est tout ce qui me reste de lui, souffla une petite voix dans ma tête. Ca, et mes rêves.Alors que je triai les harnais, j'entendis Erlend me héler.
- What are you doing outside ? It's snowing, and it's going to be heavier and heavier. You'd better come inside.
- I know, let me just finish sorting them out, répondis-je en montrant les harnais. Don't worry about me, if anything happens to me, you'll be free to use the bathroom whenever you want, tenté-je d'ironiser.
Il me répondit d'un haussement d'épaule. Pour l'humour, on repassera.
- Someone dropped this for you, il me montra un carré de papier fin.
- Put it on the table, I'll take it later.
- I'm not your mailman. Il me jeta un dernier regard avant de partir. And hurry, I don't want to dig your body out of the snow once you're frozen.
Un rictus se dessina sur mon visage. C'était sa manière de me signifier qu'il s'inquiétait pour moi. Je m'activai et rangea à la hâte les dernières sangles tu les bons rails, puis me dirigeai vers le chalet, luttant contre le vent qui s'était levé.
Le climat rude me faisait étrangement du bien. Il était vrai, pur, et surtout implacable. Il ne pardonnait rien et traitait tout le monde avec une justesse sans égal, un rappel constant que l'homme n'est rien, et qu'il peut être balayer d'un coup de vent, qu'une simple gelée peut le clouer sur place et que le moindre craquement peut à tout instant signifier la fin. C'est peut-être ça qui me plaisait le plus, savoir que je pouvais à tout instant être délivrée du fardeau de la vie.
J'entrai dans le hall du bâtiment en frappant mes pieds contre le sol pour en faire tomber l'épaisse couche de neige. Elin était dans la cuisine, comme à son habitude, à préparer ce qui semblait être un chocolat chaud. Cette idée me réchauffa le cœur. Elle m'aperçut et pointa le bout de son menton vers la table de bois qui servait de présentoir, à l'autre bout du hall d'entrée.
Je m'approchai du bout de papier brandi quelques instants plus tôt par Erlend, et m'aperçus qu'il s'agissait d'une serviette en papier sur laquelle on avait griffonné quelques mots. « Il se serait senti coupable de te savoir ici. Il est mort pour te protéger, ne gâche pas tout ».
Mon sang se glaça davantage que plus tôt, sous la neige. J'avais soudain l'impression que l'oxygène n'atteignait plus mon cerveau. J'eus l'impression que le monde autour de moi s'écroulait. Mais ce fut moi qui brisai en premier. Me genoux heurtèrent violemment le sol et mes mains rattrapèrent mon corps dans un réflexe des plus primaires, le morceau de serviette toujours dans la main.
J'avais la nausée. Il fallait que je vomisse, comme pour sortir toute la culpabilité enfouie en moi. Il était mort pour me protéger, je le savais, et c'était bien la raison pour laquelle j'avais continué de vivre. Je le savais, j'essayais de me punir en vivant une vie rude, sans chaleur et surtout sans confort. Mais j'avais été incapable d'en finir. Je ne voulais pas balayer son dernier geste d'un revers de la main. Alors j'avais passé des mois à challenger mon corps, le mettre en difficulté, en danger même, laissant le sort décider à ma place. Et j'attendais. J'attendais le moment ou enfin je serai délivrée. Car ma punition, la vraie, était d'être là et savoir que j'étais la raison pour laquelle il n'y était pas.
- Erlend, vi trenger hjelp! Rask!
L'homme arriva dans un bruit de tempête, toujours grognant. Je sentis mon corps se redresser sous la contrainte, mais mes jambes ne semblaient plus pouvoir me porter. Quelques secondes plus tard, je fus fermement posée sur le bois d'une chaise qu'Elin avait apportée en vitesse.
- Are you ok ? What's happening ?
J'essayai de bouger mes lèvres mais elles restèrent figées. Elle déplia doucement mes doigts, qui serraient toujours le mot de Sam.
- It's French, I don't understand. It must be bad news.
Et avec une voix d'une douceur extrême, elle enchaîna.
- I'm making hot cocoa, I think you'll need some.
Elle disparut un instant, puis revint avec une tasse fumante qu'elle me colla dans la main. Le contact de la céramique fut un choc, la chaleur irradiait ma main, et mon cerveau, probablement dans un instinct de survie, se remit à fonctionner. J'eus un dernier haut-le-cœur, comme si je venais de rater une marche et pus progressivement retrouver le contrôle de mon corps.
Je déposai la tasse au sol et enroulai mes bras autour de mes genoux qui s'étaient repliés automatiquement.
- Are you alright ? demanda-t-elle à nouveau. What's this ?
- Just a reminder.
- Now, what are you talking about ?
- I need to go. I'll be back in a few hours.
- You should stay, at least until the weather gets clearer.
Mais je ne l'écoutais. Je pris machinalement les clés du véhicule du domaine et sortis, laissant Elin bouche bée. J'eus juste le temps d'entendre Erlend me défendre d'abîmer sa voiture avant de faire claquer la porte.
Je me réfugiai rapidement dans l'habitacle de l'imposant 4x4 et démarrai en trombe. Le vent faisait tourbillonner la neige en épais nuages, et le trajet fut plus long que d'habitude. L'engin progressait lentement dans la neige, alors que j'essayai de distinguer les poteaux indiquant le chemin à suivre de part et d'autre de la route.
Une heure plus tard, j'arrivais à destination et m'éjectais du véhicule.
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Nuit polaire
Ficción GeneralCharlotte vient de vivre un drame. Devoir réapprendre à vivre après la perte d'un être cherche demande plus de courage encore lorsque l'on porte le poids de la culpabilité. Cette fiction est la suite d' "Et soudain".