L'hôtel Sorrisniva était de ces palaces que la plupart des touristes ne savouraient que sur papier glacé. Son architecture impeccable, un mélange de pierre et de bois, et sa décoration faite avec goût justifiait apparemment son prix exorbitant. Il était que l'atmosphère qui y régnait était chaleureuse, trainante et reposant, largement aidée par les grandes cheminées de pierre modernes dans lesquelles ronronnait toujours un feu aux premiers assauts de l'hiver.Mais je n'étais pas là pour contempler les lieux, aussi je m'avançai directement vers le comptoir de l'accueil, demandant en quelques mots brusque à voir l'homme qui m'avait mis dans cet état.
La femme derrière la large table en bois massif me regarda un instant, un air outré collé au visage, puis se dirigea calmement vers son téléphone. Ses gestes étaient d'une lenteur exaspérante, telle que je détournai le regard pour ne pas être tentée de la secouer.
Ce ne fut que de longues minutes plus tard que Sam pointa le bout de son nez. Il ne savait apparemment pas comment m'aborder, et resta prudemment sous la grande arche de bois qui ouvrait sur le couloir menant aux chambres. Il attendait que je fasse le premier pas.
Je titubai, les yeux de plus en plus mouillés au fur et à mesure que la distance qui me séparait de lui diminuait.
Arrivée à sa hauteur, j'ouvris la bouche dans l'espoir de trouver quelque chose à lui dire, mais rien ne vint. Comprenant qu'il ne tirerait rien de moi, il enroula ses bras autour de moi, et enserra mes épaules. Nous restâmes là quelques minutes. Je ne contrôlais plus les larmes qui coulaient de mes joues. La chaleur de ce contact avait rouvert une faille malhabilement colmatée, et je ne pus empêcher toutes les émotions que j'avais enfouies de se déverser ainsi soutenue.
Ce ne fut que lorsqu'il relâcha son étreinte que je me rendis compte qu'il avait lui aussi pleuré, trempant mon épaule.
- Viens.
Il me fit monter dans la chambre qu'il occupait avec Alice, en silence. Elle, affairée à ranger ses vêtements dans une valise, s'arrêta à l'instant où elle nous aperçut.
- Je vais aller boire un thé en bas, annonça-t-elle immédiatement après avoir jeté un regard entendu avec Sam.
Je la remerciai silencieusement et la regardai passer le pas de la porte.
Sam avait les yeux posé sur la valise à moitié remplie. Ce fut lui qui rompit le silence.
- On part demain.
Il leva les yeux vers moi.
- Viens avec nous.
Je ne répondis pas tout de suite.
- Pourquoi tu es venu Sam ?
- Pour te chercher.
- Pourquoi ?
Il soupira, et garda le silence quelques instants. J'eus l'impression qu'il sondait son cerveau, cherchant lui-même la réponse à ma question.
- Je crois que... commença-t-il.
Puis il s'arrêta et alla se poser sur un gros fauteuil en velours assis près de la fenêtre.
- J'en suis conscient tu sais ? Je sais que c'est de ma faute.
Sa voix tremblait.
- Je ne pouvais pas rester là-bas sans savoir si tu allais bien. C'était le moindre que je puisse faire pour lui.
Je m'approchai de lui. Peut-être était-ce l'intimité du moment, ou la main que je venais de poser sur son épaule, mais il éclata soudain en sanglots.
- Il me manque tellement putain. Toi aussi tu me manques.
C'est à ce moment précis que je réalisai pleinement la douleur qu'il ressentait. J'avais été égoïste, je ne m'étais concentrée que sur ma peine. Mais je n'étais pas seule à le pleurer, et je n'étais certainement pas la seule à ressentir le vide qu'il avait laissé. Sam le connaissais depuis bien plus longtemps que moi et avait bien plus de souvenirs de moments passés avec lui, autant de raisons de provoquer la douleur qui animait ses secousses à présent.
- Je suis désolée Sam, pour l'autre jour.
- C'est normal, tu avais raison. Si je n'avais pas...
- Et si je n'avais pas eu une histoire avec Kerian, et si je n'avais rencontré Hakim, si tout avait été différent, il serait toujours là, oui.
Je prenais conscience de tout ce que je disais au fur et à mesure que les mots se frayaient un chemin hors de ma bouche.
- Sam, je n'avais pas à te dire tout ça. Je pense que je refusais d'admettre la vérité. C'est aussi de ma faute.
Il renifla bruyamment.
- Alors on fait quoi là ?
Je ne m'étais pas posé la question. Je n'avais pas envisagé la possibilité d'une autre vie depuis j'étais arrivée ici.
Je montrai les valises d'un signe de tête.
- Je crois qu'Alice aimerait que l'aide à faire vos bagages, dis-je d'un ton qui se voulait plus léger.
- Et toi ?
- Quoi moi ?
- Tu rentres quand ?
Je soupirai.
- Tu vas rentrer, non ?
- Je ne sais pas Sam. Il n'y plus rien pour moi là-bas.
- Il y a nous.
- Mais vous, c'était avec lui.
- Je ne dis pas que c'est pareil. Pour le moment on fait semblant. Mais avec le temps, peut-être que...
- Que vous l'oublierez ?
- Qu'on guérira. On se serre les coudes, comme une famille. Comme on a toujours fait. Comme il aurait voulu qu'on fasse.
Il marqua une pause.
- Reviens avec nous. Reviens chez toi.
- Je vais y réfléchir. Je ne te promets rien, mais j'y penserai.
Il me regarda avec ses yeux de chien battu.
- De toute façon il faut que je finisse la saison ici, j'ai un travail !
Il acquiesça avec un léger sourire.
- Tu veux boire un café ? me demanda-t-il le plus naturellement du monde.
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Nuit polaire
Ficción GeneralCharlotte vient de vivre un drame. Devoir réapprendre à vivre après la perte d'un être cherche demande plus de courage encore lorsque l'on porte le poids de la culpabilité. Cette fiction est la suite d' "Et soudain".