Portes

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Un arbre.
Un arbre sans vie.
Un arbre sans bourgeons.
Un arbre tendant à perdre son écorce.
Un arbre mort.
Un bout d'arbre.
Une racine du monde.
Une mélodie.
Raisonnant
Dans ma conscience,
Dans nos esprits.
Une litanie.
Un cri d'agonie
Un dernier souffle
Infini

Auteur, inconnu
Époque, inconnue
Source, inconnue

***
Je dévala les marches de l'auberge, ouvrit la porte violement, et m'engouffra dans la ruelle.
Le vent hurlait, écho de mes sentiments contraires.
Je courais à perdre haleine, insouciante, voulant oublier mes origines, ignorant le danger de sortir sous de telles rafales. Chaque vague me faisait fléchir, plier sous la force de la tempête.
Je souris malgré moi.

"Je suis plus forte qu'une petite brise !
Personne ! Pas même les élèments, ne me feront reculer !"

Le souvenir du Parlement m'envahit alors, balayant ma volonté.
Un courant, plus incisif que les autres, faillit me mettre à terre.
En revanche, l'orage n'était pas celui que l'on croit, n'était plus, ne l'a jamais était.
L'orage grondait dans ma tête, les non-dits, les reproches, les moqueries, ma vie dans l'ombre, tout sortait enfin après tant d'années que j'avais enfouies dans un recoin de mon âme ces blessures !

Je me levai, avec peine, refusant l'aide propice d'une barrière.
Et je me mis à courir, vite, longtemps.
La pluie me fouettait le visage, comme pour me punir de mon irresponsabilité !

Moi ? De haute naissance ?
À la bonne heure !
La vraie noblesse est dans le coeur !

Moi ? Qui avait déserté sans un bruit ma capitale au moment de faire mes preuves ?

Moi ? L'inconsciente qui venait de se jeter dans une puérile dispute d'ivrogne ?

Moi ? Qui venait de fuir l'auberge, sans payer ni prendre le peu d'affaires qu'il me restait ?

Que dis-je !
Fuir ?
Seuls les lâches fuient devant la conséquence de leurs actes !
Jusqu'où me suis-je perdue ?

Rien, au rien de tout cela n'était ne serait-ce qu'un peu noble !

Rien ne justifiait ma conduite instable ! J'en suis la seule responsable...

Le sable remplaça la pluie.

Le sol devint meuble au fil de ma course effrénée.

Je butais contre une racine, et m'étala de tout mon long, le visage empli de sable.

Où suis-je seulement ?
Où mes pensées se sont-elles perdues ?
Où mes jambes m'ont-elles menées ?
Jusqu'où ai-je couru sur le fil de ma vie ?

Le noir remplaça mes regrets, et je perdis conscience.

***

Le réveil fut brutal : en guise de bonjour, je reçus un seau d'eau glaçial en pleine figure.

J'hoquetais, surprise.

- Alors, on revient d'entre les morts ?

Pour toute réponse, je crachais du sable, la figure dégoulinante, et un rictus de colère se forma sur mes lèvres.

- Bon, c'est pas tout mais moi je n'ai pas qu'ça à faire !
Sur ce adieu la nouvelle, et soit à la salle commune sans faute à 19 heure !

Mon agresseur s'éclipsa, sans que je puisse réagir, sonnée par ce que je venais d'entendre.

- La nouvelle ? De quoi au juste ?

Personne ne me répondit.

- Évidemment, pestai-je.

Une fois de plus je suis perdue.

Seules des interrogations me suivent, fidèles compagnes de toujours.

***

Partir, partir, partir, partir...
Lancinant, ce mot me hante, unique but qui m'anime.

Je longe sans bruit de longs couloirs, sans fenêtre, tout fait de marbre.

Des portes se succèdent, chacune différente, ornées d'arabesques sophistiquées, des signes gravés sur les portes de chêne.
Des globes en verre, suspendus à intervalles réguliers, diffusent doucement de une lumière tamisée : des flammes ondoient doucement, flottant au centre de la sphère.

Je ne m'attarde pas longtemps sur ce curieux phénomène, décidée à ne pas me laisser distraire, mais mon immense curiosité m'hurle le contraire.

Je cours durant plusieurs minutes dans des couloirs qui me semblent sans fin, identiques.
Et personne. Je suis seule.

Je laisse le désepoir m'envahir, aucune trace de vie, pas de sortie.
Seule avec ma solitude,mes questions.

***

J'entends des voix, brisant le silence oppressant qui m'étouffe.
Quelques rires, des bruit de pas, une porte qui s'ouvre en grinçant, comme pour protester.
Le vide à nouveau.

Je me suis tapie dans l'ombre d'un mur.

Alors que je m'apprête à m'élancer de nouveau, les notes d'une mélodie me figent, familière et pourtant inconnues. Je ferme les yeux, marche, aveugle, me laissant guider par mes autres sens.
Je m'arrête.
Ouvre les yeux.

Une porte à nouveau.

Un obstacle n'est-ilpas fait pour fermer une voie mais passer de l'autre côté ?

Une barrière n'est-elle faite pour être franchis ?

Les limites ne sont-elles pas fait pour être repoussées ?

Je souris à moitié et la pousse. Le bois semble froid, glaçé.

Curieux.

***

Rien, un trou noir, une abysse sans fond.

Et un tunnel, vieux comme le monde, sans aucune trace de vie quelquoncque, une terre vierge.
Je ne devrais pas être dans ce sanctuaire, je le sais.

Seul le murmure de l'eau m'accompagne.
Bientôt le sol devient humide, des flaques replissant les quelques failles qui sillonaient le sol, fait de roche brute, glissante et trompeuse. Là où je pense avoir une prise fiable, le sol se dérobe et je glisse.
Combien de fois suis-je tombée ?

Dans la pénombre, je distingue avec peine de longues stalactites, qui, par leurs tailles, témoignent leur ancienneté.
Je baisse la tête, prudente.

Puis la lumière, soudaine, m'aveugle, une lumière venant d'un arbre au milieu d'une crypte aux murs ouvragés, tranchant avec le tunnel que je venait dans lequel je venait de passer.

Une lumière blanche, émannant d'un arbre cent fois millénaire.

Vieux comme le monde.

Des halos de couleurs, à l'image des aurores boréales, ondulent paresseusement autour de lui, protections imatériels.

Un isthme court entre l'îlot et moi, et sans vraiment en être consciente, je m'avance.

Bientôt, je suis devant l'Arbre, il semble comme mort, en agonie, et le murmure ténu qui m'avait guidée jusque dans ses immenses racines, un dernier souffle.

Pas de bourgeons, pas de feuilles, juste un arbre, nu, dépouillé.

Et, sans le vouloir, ma main se retrouve apposée à l'écorce. L'Arbre vibre sous ma paume, je sens son coeur pulser, lentement, infiniment lentement.

Puis il me happe, me vidant de ma force, et je sombre à nouveau.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 20, 2022 ⏰

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La Naissance du Jour Où les histoires vivent. Découvrez maintenant