Et pourquoi pas ?

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01 Mai 1833 - A la maison

La hanche gauche de Louise se collait maintenant à celle d'Honoré, tous deux continuèrent d'observer le feu se mouvoir comme une bête, à flammes lentes. On aurait dit un poulain mis au monde, tentant vainement de se dresser sur ses jambes. Honoré, comme à ses habitudes de contemplation léthargique ne disait rien, les yeux à l'intérieur du mouvement incessant des flammes. Louise avait besoin de le faire réagir, qu'il reprenne connaissance, qu'il soit avec elle. Elle voulait une nouvelle fois, l'extirper de sa bruine, le réveiller pour qu'il soit avec elle, prêt à vivre ensemble ce qu'ils avaient à vivre.

Elle se risqua à glisser :

- « Dans quel monde es-tu encore, cette fois-ci ? »

- « Devant le feu, comme toujours », répondit posément Honoré, en posant sa main sur la hanche de sa promise.

- « Tu sais, Martine m'a encore fait une réflexion sur le linge que je lui ai lavé, il parait qu'une tâche de vin était encore présente sur une des manches de sa robe. C'est quand même ahurissant, pour le prix que je demande, ils pourraient éviter de me faire ce genre de remarque ... »

- « Laisse faire, ces histoires n'ont que peu d'importance. S'ils viennent encore à rechigner, tu ne les aideras plus voilà tout, et ils reviendront vers toi sans plus attendre », répondit Honoré, toujours dans le frimas de ses pensées.

Louise ne répondit pas, elle comprit qu'Honoré s'était de nouveau échappé vers des contrées inaccessibles. Ces échappés l'amusaient au début de leur rencontre, de voir cet homme si friable à la réalité. Mais désormais, cet amusement avait fait place à de l'agacement, qui devenait de plus en plus prononcé. Elle ne pouvait rien y faire, elle n'avait jamais essayé de lui en parler car ce n'était généralement pas leur sujet de conversation privilégié, Honoré soulignait le plus souvent les choses importantes par un silence et elle avait pris le pli. Mais elle savait qu'elle avait besoin de souligner ces choses par un échange, un échange réel qui mène à se transformer, se façonner par les problèmes qu'ils pouvaient rencontrer. Mais elle n'avait jamais osé en parler avec lui, il lui semblait que ce terrain était défendu et qu'elle pouvait une nouvelle fois mettre en péril leur relation par ce genre de discussion. Honoré était bien là, mais sans être là. Il avait posé sa main sur sa hanche, et elle sentait qu'il l'aimait, elle n'avait pas de doute là-dessus. Il avait nonchalamment posé une barrière sur leurs échanges, une barrière qui lui semblait maintenant infranchissable. Elle avait essayé quelque fois de surmonter cette barrière après leur retrouvailles l'hiver dernier, mais une nouvelle fois, Honoré avait répondu par un sourire silencieux mêlé d'un regard d'une intensité rare, et elle s'en était contentée.

Il restait là devant le feu, immuable et les pensées de Louise se bousculaient en elle, accompagnées de ses craintes et de ses doutes. Non seulement elle ne pouvait pas lui parler, mais elle n'osait pas. C'était aussi pour elle comme un aveu de faiblesse, vis-à-vis d'un homme qui avait construit sa maison de ses propres mains. Elle se devait de réagir vis-à-vis de cet ours en hibernation qui regardait le feu après avoir emmagasiné suffisamment de vivre pour tenir l'hiver. Mais aujourd'hui sonnait le printemps, et même si son ours avait une patte sur sa hanche, elle n'allait certainement pas hiberner avec lui.

- « Tu peux me parler de Paris ? », lui demanda-t-elle

- « C'est une ville pleine de gens et de bruits. J'ai dû y faire halte avant de partir pour la guerre. Ne me pose pas trop de questions sur cette période, s'il te plait, je me fais violence d'accepter de t'en parler ».

- « Mais pourquoi ? Et ce que je ne suis pas là pour toi ? T'aider à traverser ce qui te semble insupportable ? Parle-moi, Honoré, je t'en prie. »

Retrouver (tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant