01 Mai 1833 – Sur le plateau de Ruynes
Louise une fois dehors, souffla dans ses mains pour les réchauffer. Devant elle, s'étendait le spectacle de la nature qui poussait sur le plateau de Ruynes. Le spectacle qui s'offrait à elle changeait selon son humeur. Aujourd'hui, Louise était presque d'humeur boudeuse, elle le trouvait pauvre et inachevé, avec ces chênes et ces hêtres à demi-vêtu de leur feuillage vert. Souffler dans ses mains était un réflexe, pour se donner du courage à la tâche à laquelle elle allait se consacrer aujourd'hui. C'était curieux tout de même, accepter de vivre sur en hauteur sur le plateau mais être obligée de descendre la colline pour aller laver le linge au lavoir de la rivière. C'était comme cela, elle ne voulait pas penser à autre chose que son savon, ses brosses et le linge sale des habitants de Ruynes. Tout était là, elle semblait à présent faire partie de son univers, avec son sac et ses outils. Une fois arrivée au lavoir, les petites habitudes de Louise commençaient à refaire surface elle ne s'y était pas aventurée pendant l'hiver car la rivière était gelée. Ses doigts caressaient le tissu des vêtements en évitant soigneusement les tâches, une manière d'apprivoiser l'animal sauvage qui était dans l'arêne. En allant au fond du lavoir, Louise ouvrit la remise et prit le grattoir et une autre brosse plus douce que la sienne, qui pendait nonchalamment sur le mur. Le vent offrait à la lavandière un spectacle de danse improvisé, il ne restait plus qu'à récupérer le carrosse en bois de peuplier avant de débuter son office. Le temps était clair et sans nuage, parfait pour une journée au lavoir. Finalement, elle s'accroupit devant la pierre du lavoir au bord de la rivière. Les bras de Louise commençaient à décrire à sa manière une procession religieuse, après avoir fait mousser le savon qui faisait perler des bulles sur le linge. Tout lui paraissait connu, acquis. Elle savait que la brosse pourrait faire disparaître ces tâches qui incommodaient les villageois, car aussi pauvres qu'ils étaient, ils voulaient rester propres. Louise frissonna à cause de la fraîcheur printanière de la journée, elle plongea ses mains dans l'eau pour commencer à nettoyer les tâches du pull de Madame RENARD. Son carrosse bien calé sous la pierre à laver, il ne pourrait pas bouger d'un centimètre malgré le flux de la rivière. Louise se sentit bien à présent, comme apaisée. Elle n'avait plus besoin de penser à ses désirs de découvertes du monde, être assise devant son carrosse de lavandière lui suffisait, et elle ferma les yeux.
- « Qu'est-ce que je voudrais faire, finalement ? Cette vie me convient-elle ? Je ne peux répondre à cette question car je suis partagée. Je voudrais qu'Honoré soit le plus heureux possible, cela ne fait aucun doute. Mais pour qu'il le soit, je devrais accepter ces choix et vivre dans ce village où j'y suis née. », songea-t-elle
Honoré vient de construire sa maison, même s'il dit que celle-ci est la nôtre, je ne sens pas qu'elle m'appartient réellement. C'est la sienne, et il a certainement envie d'en profiter. Je l'ai vu aujourd'hui allumer ce feu, cette maison enfin debout est un achèvement mais l'est-elle pour moi ? Bien sûr cette maison me plait, et j'adore vivre avec lui, mais ne pas pouvoir explorer le monde me dérange, j'aimerais pouvoir découvrir ce qu'il a découvert lui aussi par ses voyages. J'ai adoré les histoires de Faustine sur Paris, qui ne font que confirmer le dynamisme, la vie pétillante qui circule dans les veines de cette ville. J'ai envie de connaître ce mouvement, de bouger avec le monde. Tout à l'air plus rapide, plus vivant là- bas. J'ai encore tellement de chose à découvrir.
Le pull de Madame RENARD encore dans ses mains, flottant aléatoirement dans le flux de la rivière, Louise était sidérée par la tournure que prenait ses pensées. Elle se sentait coupable de trahir l'amour qu'Honoré lui portait. Devait-elle écouter ses choix ou se résigner à suivre ceux d'Honoré, pour continuer à vivre une vie qu'elle ne connaissait que trop bien ? Elle savait déjà quoi répondre. Mais il allait être difficile de l'assumer. Ce qui lui faisait peur était la réaction d'Honoré, qu'allait-il bien pouvoir faire ? Mais elle en avait marre de se poser toutes ces questions, il se devait de comprendre ses décisions. Un couple peut espérer voir ensemble l'avenir s'il se comprend et s'accepte, elle voyait ainsi l'amour. Elle était persuadée qu'il allait comprendre, il ne pouvait en être autrement. Les manches du pull de Madame Renard face au flux de la rivière, gesticulaient comme les bras d'un épouvantail porté par le vent dans un champ d'asperges. Quel était le meilleur moyen d'en parler à Honoré ? Le prendre entre quatre yeux et lui dire ce qu'elle avait à dire ? Cela lui semblait trop péremptoire, elle voulait lui indiquer la voix à suivre sans l'obliger. Elle se rappela voir Honoré écrire dans son carnet sur la table de la salle à manger. N'était-ce pas le moyen idéal de communiquer avec lui ? N'y avait-il pas inscrit, quelques mois auparavant, son souhait d'avoir un enfant avec elle ? Ce carnet représentait son recueil des grandes décisions, des choix cruciaux qui dirigent un homme à bâbord ou à tribord. Paris, était pour elle, son choix de vie. Il ne lui restait plus qu'à écrire quelques lignes.
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Retrouver (tome 2)
Proză scurtăLes tourtereaux sont enfin installés dans leur cocon au fin fond du Cantal, dans le village de Ruynes -en-Margeride. Le bonheur de pouvoir glisser ses pieds dans le feutre de ses charentaises, comme le dit Honoré. Le bonheur de contempler un bon feu...