Première partie - Le stratège

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11 juin 2332.

Je regarde derrière mon épaule et je dévisage l'assemblée dressée derrière moi. Où es-tu, Tolas ? J'ai tant besoin de toi.

Et dire que je me croyais forte. Chaque fois que je ferme les yeux, des larmes viennent s'échouer sur le casque d'entraînement de Roland que je serre dans mes bras. Eh non, Laura Carroyan n'est pas aussi forte qu'elle voulait bien le croire. Que s'est-il passé, Roland ? Tu étais le meilleur pilote des Centurions, comment as-tu pu te faire avoir ? J'ai beau voir le cercueil descendre dans son trou, je n'arrive pas à réaliser que je ne te verrai jamais plus.

Le pasteur a terminé son homélie, le cercueil a touché le fond et il est temps d'aller faire nos derniers adieux.

Mon père s'approche en premier. L'honorable sénateur Abel Carroyan, même abattu par la douleur, garde la tête droite et haute. Il a le visage fermé mais il ne pleure pas. Même dans un pareil moment, il se doit de rester fort. Quel con !

Je ne l'aimais pas mais à cet instant, je le déteste. Il a tellement crié haut et fort que son fils serait le meilleur, il a tellement investi en lui et il n'assume pas ! Il pourrait laisser son chagrin le submerger, que je puisse revendiquer un jour que mon père possédait des sentiments humains. Mais non, il se retient. La même attitude qu'au sénat : toujours digne. J'emmerde sa dignité. Quelle ironie... Il avait tout misé sur son fils, son prodige, sa fierté jusqu'à en oublier l'existence de sa fille, la faire-valoir, le second rôle, ce mal nécessaire au bonheur de sa femme. C'est ma mère qui l'avait convaincu que Roland ne devait pas rester fils unique. Il avait cédé, espérant avoir un autre garçon. Raté ! Pour être honnête, on ne peut pas dire qu'il ne m'aime pas. Il m'ignore, c'est pire !

Malgré mon père, j'ai plutôt eu une enfance heureuse. Ma mère m'a donné toute l'affection dont on peut rêver. Mon frère, de cinq ans mon aîné, a toujours été adorable avec moi et m'a toujours défendue contre mon père. Roland m'a toujours encouragée, persuadé qu'un jour moi aussi je réussirai.

Alors pour te remercier, Roland, mon frère, mon idole, je jette sur ton cercueil vide une poignée de terre et je te fais le serment de reprendre ton flambeau. Tout comme toi, j'intégrerai la prestigieuse école de pilotes d'élites des Centurions, et j'irai à mon tour affronter l'Armada qui s'approche de notre système solaire. Tu me disais que cette flotte gigantesque devait posséder un point faible, une faille.

Si elle existe, je te promets de la découvrir.

La cérémonie se termine. On rebouche le trou dans le silence. Je serre le casque fort contre ma poitrine. Mon père caresse le petit singe qui trône sur son épaule. Lui aussi, qu'est-ce que je peux le détester ! Quand je pense que ce singe miteux compte plus pour mon père que moi ! Je sais ce que les Verveils peuvent apporter à leur maître et j'espère bien moi aussi en avoir un plus tard, mais celui-ci est vicieux. Il a été trop longtemps au contact de mon père, il a fini par déteindre sur lui. Mon père l'a surnommé Darko, pour son pelage noir. Sauf que ce macaque a bien vieilli et son poil est grisonnant. Je ne sais pas quel âge il a mais j'espère qu'il va bientôt crever.

Darko me regarde, il a vu que je l'observais. Je n'aime pas ses yeux. Ça a beau être un animal, son regard me transperce. Le même que mon père.

Alors que nous nous dirigeons vers la sortie, je prends deux minutes pour admirer le cadre choisi pour la dernière demeure du fantôme de Roland. Tout respire le calme. Les chênes centenaires répandent leurs ombres bienfaisantes sur le cimetière, une légère brise atténue la chaleur d'un soleil rayonnant nous rappelant que l'été est bien là. Le cimetière a été choisi dans un style rétro, il me rappelle les vieux films de la guerre de sécession. Il ne manque plus que Scarlett O'Hara. Comme toujours, pour Roland, mon père a bien fait les choses, le moindre détail a été soigné. Ça a dû lui coûter très cher... Quoique, il n'a peut-être pas donné suffisamment à l'agence. Tout le monde n'est pas encore sorti que déjà le décor se désagrège. Les holofix se ramollissent, perdent leur forme et leurs couleurs puis disparaissent. Avant d'avoir franchi le portillon en bois de la clôture imitation 18ème siècle, celle-ci se transforme en un trou béant donnant sur un couloir menant au hall d'entrée de l'agence funéraire.

Les Centurions - Première générationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant