Épilogue

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Keryan me fixe avec son regard implorant. Il est assis dans son fauteuil à sustention, encore trop faible pour pouvoir marcher seul. Le comité de départ nous a laissés seuls et il essaye une dernière fois de me faire changer d'avis. Il attrape ma main libre, l'autre main tenant mon casque de pilote.

- Pourquoi si vite ? On vient à peine de se retrouver. Ce qui nous est arrivé est un miracle qui ne se produit qu'une fois tous les millénaires, je ne veux pas te perdre encore une fois. Je ne le supporterai pas. Attends que je sois rétabli, nous partirons ensemble. S'il te plaît...

Je pose mon casque et je m'accroupis pour me mettre à sa hauteur. Je prends ses mains dans les miennes pour le calmer.

- Un Noddon qui m'a accordé sa confiance est aujourd'hui en danger à cause de moi. Chaque jour qui passe est un risque supplémentaire pour lui. Je ne sais si Nort a été jugé ou condamné mais dans tous les cas, je dois me livrer pour le sauver. J'ai détruit une grande partie du vaisseau, ils ne lui pardonneront pas. Sans lui, je n'aurais jamais pu revenir.

Je marque une pause. Cet argument va lui paraître futile mais il compte beaucoup pour moi.

- J'ai fait une promesse à un enfant qui m'a aussi sauvé la vie. Laisse-moi partir, je t'en prie...

Des larmes coulent sur les joues de Keryan.

- Ils vont te tuer.

- Je ne pense pas. Je les connais un peu, ils ne passeront pas à côté d'une chance de paix. J'ai avec moi un message du gouvernement qui devrait les rassurer.

- Ils vont penser que c'est une manœuvre de diversion, pourquoi te croiraient-ils ?

- Parce que les Centurions n'attaquent plus l'Armada. Ils vont voir notre volonté d'apaisement. Maintenant que les communications ne sont plus brouillées, je pourrai t'envoyer un message de là-bas. Tout va bien se passer, je te le promets. Quand tu seras rétabli, j'aurai arrangé la situation et tu pourras me rejoindre. Je te ferai visiter leur vaisseau, ce sera formidable...

- Et ton père ?

- Quoi ? dis-je en fronçant les sourcils.

- C'est aussi à cause de lui que tu veux partir, non ? Dis-moi que la vraie raison n'est pas que tu veux aller à sa recherche.

- Ce n'est pas la raison, c'est une des raisons. Mais oui, je veux le retrouver. Je ne peux pas supporter de savoir qu'il est toujours sous le contrôle de Darko.

- Promets-moi de m'attendre avant de le prendre en chasse.

- Je te le promets. Mais ça ne sera pas une partie de plaisir. Tu serais prêt à me suivre ?

- À ton avis ?

J'embrasse Keryan longuement et je me détache de lui. Je ramasse mon casque et je m'éloigne à reculons en lui faisant au revoir avec ma main libre. Après quelques pas, je me retourne et je m'enfonce dans le couloir en tâchant de retenir mes larmes.

Le portail s'ouvre sur l'aire de départ et le mécano m'accueille pour me conduire à mon vaisseau. Le Baron Cordac m'a fait cadeau du dernier-né de ses industries, un Toran 4 flambant neuf. La machine est magnifique, mon nom a été écrit en lettres d'or sur les flancs de l'appareil, je suis à nouveau émue.

Quand je pense qu'il y a moins de deux semaines, nous essayions de libérer Keryan. Tant de choses se sont passées depuis. Suite au champ magnétique généré par le Baron Cordac, tous les Sirths ont péri sous le dôme, ainsi que quatre sénateurs. Une fois l'holofix éteint, Cordac est monté à la tribune pour expliquer ce qui venait d'arriver. Hébétés, comme sortant d'une longue période de léthargie, les sénateurs prirent conscience de la situation. Leur première décision fut d'ajourner l'exécution de Keryan pour lui offrir un véritable procès. Dans la foulée, ils ont voté une loi pour détruire les Verveils répartis dans la Fédération. Une prime était offerte à toute personne amenant le corps d'un Verveil mort. Les élevages de Verveils furent détruits le jour même. Pour Keryan et les membres du Club, les débats furent houleux et les avocats durent déployer tous leurs efforts pour convaincre les jurés de leur bonne foi à vouloir combattre les Sirths et non pas la Fédération. Mes retrouvailles avec Keryan resteront pour toujours mon plus beau souvenir, jamais je ne pourrai ressentir un sentiment de bonheur aussi intense.

De son côté, mon père a disparu. On a retrouvé le sideboard de Roland près de l'astroport militaire au nord de la ville. Grâce aux caméras de surveillance, nous avons pu le voir s'approprier un Toran 3 et décoller. Pour l'instant, aucune trace de mon père ou du Toran n'a été retrouvée. Je n'en ai pas la certitude mais je sens au fond de moi que Darko a réussi à prendre le contrôle de mon père. Si c'est le cas, il n'a pas fini de nous poser des problèmes.

Un mécano me sort de mes pensées et m'avertit que l'appareil est prêt à partir. Je monte dans le cockpit et je fais redescendre la verrière. Je connecte mon inputer à L'IA qui me souhaite bienvenue à bord. Je n'y crois pas, le Baron a pris sa voix comme modèle pour l'IA. Il est incorrigible, il aurait au moins pu mettre celle de Keryan.

- Baron, est-on prêt au décollage ? dis-je dans un sourire

- Tous les voyants sont au vert, jeune fille.

N'importe quoi !

Je jette un coup d'œil derrière moi, le siège normalement réservé aux Verveils a été supprimé et remplacé par un casier de rangement. Je regarde de nouveau droit devant moi, les portes du hangar ont été ouvertes et la base me donne l'autorisation de décollage.

- Keatel, prêt à décoller ? dis-je par réflexe.

Keatel...

Seul le silence répond en écho à ma question.

Keatel n'est plus là.

Tant mieux ! 

Les Centurions - Première générationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant