Chapitre 6 : Conciliabule

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Son propre poids tira sans mal Kil vers la lisière de l'atmosphère et la force d'attraction de la planète fit le reste du travail. Pendant une seconde, il crut qu'il allait s'arrêter juste avant cette frontière, trop léger pour y pénétrer, et être condamné à regarder la planète en contrebas tandis que sa combinaison se viderait lentement de son oxygène.
Mais bientôt, une chaleur cuisante l'enveloppa et il comprit qu'il avait déjà franchi le seuil et qu'il amorçait une longue chute libre vers le sol.

Sa tête bourdonnait, son sang pulsait furieusement dans ses veines et son cœur peinait à suivre le rythme tandis qu'il serrait les dents pour ne pas se trancher la langue.

Malgré son habitude de la gravité zéro, Kil n'était pas bien musclé et il lui fut bientôt impossible de garder une position stable – c'est-à-dire la tête en bas et le corps tendu – et il se mit à tournoyer furieusement, tel un pantin pris dans une tornade.
Tout autour de lui était gris car il avait pénétré dans l'épais nuage gazeux qui recouvrait les plaines rocheuses en dessous. Seuls ses organes internes lui indiquaient qu'il était en mouvement tant ils étaient secoués dans tous les sens et il ne parvenait pas à s'orienter entre ciel et terre.

Logiquement, s'il suivait la trajectoire qu'il avait emprunté de force vers l'espace avec son fidèle Flipper, il retomberait droit vers le dôme d'arbres-acier et il n'y aurait qu'une faible chance pour qu'il finisse empalé sur les pics rocheux à l'extérieur.
De toute manière, s'il s'écrasait sur le sable l'une de ces épines rocheuses sortirait immédiatement de la surface pour le trancher en deux.

Il comptait donc sur la bonté de Lila, individu non-humaine qu'il avait rencontré depuis seulement une journée et qui ne lui devait rien du tout.
Pourquoi prendrait-elle la peine de lui ouvrir ses portes encore une fois, lui qui avait pénétré sur ses terres et froissé son cœur ?

Alors qu'il tourbillonnait encore et toujours, véritable leitmotiv de sa courte vie humaine, des souvenirs lui revinrent en flashs désordonnés dans sa tête.
Probablement le manque d'oxygène ou la désorientation de son cerveau, ou encore un moyen de palier à sa terreur grandissante face à la perspective de mourir.

« Laisse-moi venir avec toi ! Allez, rien qu'une fois ! 'Steuplait papa ! »

Tel un coup de poignard dans sa poitrine, cette petite voix aiguë et implorante fit reprendre conscience à Kil qui rouvrit les yeux et réalisa qu'il avait quitté le nuage de gaz et s'approchait rapidement du sol.

Il se souvint de ce jour comme s'il l'avait vécu hier, alors qu'il remontait à plusieurs dizaines d'années à présent et que la petite ne devait plus l'être tant que ça...

Une voix robotique lointaine caquetait dans son casque, probablement pour lui dire quelque chose du genre « Danger ! Danger ! » mais Kil ne l'entendait plus. Ses tympans avaient sûrement explosé et un goût métallique lui emplissait la bouche.

Ses membres probablement brisés le faisaient tellement souffrir qu'il ne sentit bientôt plus rien et son monde ne se résuma qu'à un tourbillon incohérent.

Pendant une seconde, il envia les animaux qui vivaient il y a très longtemps sur la planète Terre : ceux qui possédaient des ailes et qui avaient inspiré l'homme à prendre son envol vers les cieux. S'ils le verraient à présent, ils riraient à bec déployé tant cet humain ridicule peinait à se stabiliser dans cet environnement qui n'était pas le sien.

Progressivement, les coins de sa vision s'obscurcirent et il fut bientôt aveugle.

Mais alors que la Mort tendait enfin ses bras intemporels et osseux vers lui, tout s'arrêta.

Il ne sentit plus douleur ni peur. Il ne sentait plus rien. Le temps ne semblait plus exister et il se demandait si ses contemporains avaient tous vécu ça au moment de leur trépas.

KILOù les histoires vivent. Découvrez maintenant