J'ai cherché cette image à m'accrocher. Ce dernier souvenir sur terre, à me concentrer. Pour effacer la douleur et penser à autre chose. Fixer cette vision poétique dans mon esprit pour oublier le chaos autour de moi. Faire en sorte de trouver une évasion, loin de toute cette horreur.
Mais il n'y avait rien.
Que le hurlement des flammes, qui rongeait mon corps. Le lent serpent vicieux qui sillonnait mes veines. Bercé par les cris de la mort qui se répandait doucement entre les ruines. Comme une tache sombre et amère que mon âme absorbe jusqu'à en déborder. Et ce sifflement intenable qui ne partait pas.
"Si une bombe explose, les secours des autres quartiers viendront vous évacuer".
Mais il n'y avait plus d'autres quartiers. Plus de ville du tout. Tout avait disparu en une seconde. Un seul battement de paupières. Une région entière gommée du monde comme une éclaboussure d'encre sur du papier blanc. Une simple chose effacée comme si elle était considérée comme une erreur.
Des enfants qui jouaient. Des hommes et des femmes se rendant sur leur lieu de travail. Des anciens qui allaient prier. Des gens heureux. Des gens qui riaient. Qui pleuraient.
Des personnes qui vivaient.
Évanouies de ce monde de la même manière que si elles n'avaient jamais existé, par un souffle ardent mortel.
Comme si leur existence tout entière était si facile à supprimer.
J'ai cherché à comprendre. Lorsque les flammes étaient en train de dévorer mon âme, affamées comme des bêtes sur leur proie, j'ai essayé de me mettre à la place de ceux qui venaient de faire ça.
La théorie est très simple. Mais quand on en est la victime, c'est bien moins le cas. Tout devient sentimental, cette peur incessante qui vous colle au fond des entrailles sans jamais vous quitter. Un poids ancré au fond de votre cage thoracique, enraciné à vous, par une chaîne invisible dont vous ne pourrez jamais vous désenclaver.
Je savais que si nous en avions eu les moyens, c'est nous qui aurions envoyé ce cadeau mortel chuter dans le ciel des Américains. Et voir cette victoire perdue, ces personnes tuées, ces familles brisées, ne jamais avoir lieu pour nous. C'était juste arrivé avant.
Parce que l'homme gagne ce qu'il veut de cette manière. En arrêtant le mal par un mal plus fort. C'est n'est pas le moins cruel des deux, mais le plus armé qui reporte la bataille. Justifiant ainsi ses crimes pour la paix. Mais quelle paix, lorsqu'elle fait place à la peur permanente de voir son monde anéanti ?
Au début, je ne comprenais pas ce qui arrivait. Comment était-ce possible de se retrouver dans un tel enfer. Ça ne pouvait pas être réel. Les pires cauchemars étaient même incapables d'imaginer ça. J'allais me réveiller, il fallait juste attendre un peu. Et plus les secondes passaient, et plus l'horloge me criait implacablement que ce n'était pas fictif. J'ai pensé être au pays des morts. Mais la douleur était si intense que c'en était impossible.
Puis j'ai fini par apprendre ce qui avait créé cette destruction si funeste. Cette arme tant invisible, tant destructrice. Qui faisait trembler les gens rien qu'en la prononçant.
Quelle ironie. Ces Américains avaient même donné un nom à leur création.
Fat man.
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Kotomichi
Historical FictionLes flammes rongent rapidement. La mort un peu moins. Kotomichi s'est réfugié dans un autre monde. Un monde où sa famille était vivante. Un monde où il pouvait vivre sans regarder derrière lui. Un monde où Nagasaki n'avait pas été détruite. Pour oub...