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On ne peut même pas pleurer. Parce que les cendres vous brulent tellement la paupière que si des larmes en sortaient, ce serait pire.

Il faut juste rester là, sans bouger, à attendre piteusement que la mort vienne enfin vous cueillir dans ses bras, comme une fleur fanée qu'on arrache à la terre. Si impuissant.

Ceux qui en avaient la force criaient. De peur, de souffrance ou de désespoir. Mais l'explosion avait été si forte qu'il était presque impossible d'entendre ne serait-ce que le battement de son propre cœur.

Le silence était peut-être pire après tout. Un vide si inhumain qu'il vous glaçait ce qui restait de votre corps.

Je devais seulement rejoindre ma femme et mon fils qui m'attendaient à la gare.

Comme tous les jeudis. Une simple routine. À force cela devient si habituel qu'on finit par ne même plus y penser. Que rien ne semble pouvoir arriver.

Mais ce jour-là, j'ai tout perdu. Toute ma vie. Tous ceux que j'aimais.

Tout mon monde s'est effondré. Château de sable, englouti par la marée, d'un coup par cette immense vague, repris du monde par un élément plus fort que lui. J'ai été cette petite fourmi qu'on écrase d'un simple coup de pied.

Tout semblait si banal et anodin ce jour-là. Il faisait chaud, c'était en plein début août. Cette chaleur paraît désormais si terne par rapport à ce souffle meurtrier sorti des enfers.

Il y avait déjà eu une alerte plus tôt dans la matinée. Mais si rapidement levée que tout le monde était rassuré et avait repris ses occupations. À tord. C'est ce qui détruit encore plus. On vous fait croire que le danger est écarté, quand il est en fait en train de grandir sournoisement plus loin.
Tapi dans l'ombre, observant la scène avec dédain.

Je n'ai même pas eu le temps d'apercevoir la gare.

Tout est allé trop vite. D'un seul coup, une explosion gigantesque a retenti, si forte que la terre en a tremblé. Un souffle terrible m'a projeté à terre, avant même de comprendre quoi que ce soit. Envolé comme une fragile feuille.

Jamais le ciel de Nagasaki n'avait été aussi lumineux.

Et je chutai. Sur un lit de feu et de cendres. Dans cet immense cimetière qu'était autrefois ma ville.

Sans que je le sache, la ville était déjà rasée alors qu'il n'y avait même pas une seconde de passée. Toutes ces âmes vaporisées, fendues par la chaleur de la bombe comme des frêles morceaux de papier. Assassinées par une chaleur pire qu'au centre de la terre ou que la surface du soleil.

Il n'y avait plus de ciel. Plus de bleu. Juste du rouge, rouge brûlant comme un volcan. Un monstre gémissant, tonnant au-dessus de la tête. Mais je n'avais pas peur. Pas par courage mais par vide. Par désespoir. Mon âme n'était plus que vaste tombeau ouvert.

Puis tout est soudain devenu affreusement noir et silencieux. Un champignon de fumée mortel empêchait le soleil d'éclairer le sol.

Allongé au sol, j'essayais désespérément de reprendre mes esprits. Ma peau me faisait terriblement mal, mais je n'avais même plus l'impression d'en avoir. Tout mon corps n'était qu'un amas de douleur et de souffrance.

Mes vêtements étaient déchiquetés et en dessous, il ne me restait plus qu'un corps de brulures et de taches sombres. Une épave humaine encore brulante.

Le monde était confondu autour de moi. Le feu, le ciel, le sang.

Je ne voyais pas grand chose, ébloui, et pourtant plongé dans une éternelle obscurité. Je discernais seulement des silhouettes. Et des ombres, miroirs de la mort, qui valsaient entre les ruines dans un bal sinistre.

Ces ombres gravées à tout jamais, prisonnières du temps, sans repos.

Des personnes marchaient doucement devant moi comme des zombies. Les bras écartés et cheveux en pétards. Leur peau n'était plus qu'un triste tissu carbonisé. En lambeaux, comme cisaillée, qui s'arrachait par partie. Des poupées de chiffons vidées d'âmes. Et leurs mains retenaient désespérément ce qu'il leur restait.

Ce n'étaient plus que des corps délabrés, qui déambulaient misérablement dans ce chemin des enfers. A la recherche de la lumière.

KotomichiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant