A-changing

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Quand la sonnerie retentit ce soir-la, Viola savait qui c'était avant même d'aller ouvrir.

Elle était allongée sur son côté gauche, observant la pluie tomber dru à travers la fenêtre de sa chambre. Elle ne pensait à rien en particulier ou plutôt elle s'interdisait de penser à quoi que ce soit.

Elle se leva, descendit les escaliers un à un, sans se presser, regrettant presque d'avoir été obligée de quitter son lit.

Elle avait déjà le pied sur la dernière marche quand elle entendit une voix.

—Viola ?

Elle se retourna. Sa mère la dévisageait avec surprise.

Sans lui prêter plus d'attention, elle se dirigea vers la porte principale de la maison et l'ouvrit.

C'était Ymir. Il portait encore les mêmes vêtements qu'il avait quelques heures plus tôt : un tee-shirt noir sur lequel était écrit : the end is near, un jean bleu et une paire de converses noir. La seule différence était qu'en plus de son sac à dos, il était maintenant trempé jusqu'aux os et qu'il tenait dans sa main une valise marron.

—Salut.

—Salut, répondit Ymir.

Viola ouvrit la porte en grand et lui fit signe d'entrer.

Bien qu'au lycée, les deux adolescents étaient quasiment inséparables, aucun des deux n'était encore allé chez l'autre. C'était donc la première fois que Ymir mettait les pieds chez son amie.

Et il était très impressionné.

Leur demeure respirait la richesse à tous les coins et recoins. Du lustre suspendu au plafond aux tableaux accrochés un peu partout, Ymir aurait pu croire qu'il venait d'entrer dans un musée.

Son regard se posa sur Viola. Elle l'observait.

—Alors ? demanda-t-elle avec une once d'appréhension dans la voix.

—Franchement..., dit Ymir en balayant la pièce du regard, ta maison est hideuse.

Aussitôt, ils éclatèrent de rire, ce qui détendit un peu l'atmosphère.

—Viola ? Qui est-ce ?

Le sourire de la jeune fille se figea légèrement, avant de revenir, beaucoup moins large qu'avant.

—Mère, je vous présente Ymir, dit Viola. Nous devons travailler ensemble sur un projet scolaire. Il se pourrait donc qu'il passe la nuit ici.

—Oh... Je vois.

En temps normal, Viola était sûre que sa mère n'aurait jamais accepté ; mais après leur dernière conversation, elle devait probablement penser que la présence d'un garçon dans la vie de sa fille lui ferait le plus grand bien.

—Je vous laisse alors. Ymir, tu es le bienvenue. Si tu as faim, ma fille se fera un plaisir de te donner à manger. Ne vous couchez pas trop tard, les enfants. Bonne nuit.

—Eh bien..., dit Ymir une fois que la mère de Viola fut partie, ça s'est plutôt bien passé.

—C'est parce-que tu es un garçon. Sa réaction aurait été très différente si tu avais été une fille.

Ymir hocha la tête.

—Allez viens, dit Viola en lui prenant la main. Plutôt que d'être malheureux seul, soyons le ensemble.

*

La chambre de Viola était aussi grandiose que le reste de la maison, haute de plafond, meublée d'un lit à baldaquin et ornée de tapisseries.

C'est sur ce lit à baldaquin qu'ils se trouvaient maintenant. La tête de Viola reposait sur le torse nu de Ymir tandis que ce dernier lui entourait la taille de son bras.

—Il doit quand même s'inquiéter un peu, non? dit Viola, poursuivant ainsi la conversation qu'ils avaient entamé précédemment.

—Non, au contraire, répondit Ymir. Je crois qu'il n'en a plus rien à faire de moi. Tu aurais dû voir sa tête. A ses yeux, je n'étais rien de plus qu'un déchet.

Il fit une pause.

—Mais bon, au moins cette fois il ne m'a pas frappé.

Les pensées de Ymir le firent voyager vers ce jour où, plus jeune, il avait essayé l'une des robes de sa mère que son père gardait dans un carton. A l'intérieur se trouvaient aussi toutes les affaires qu'elle avait laissées quand elle avait quitté leur domicile.

Quand son père l'avait trouvé dans cet état, il était resté abasourdi pendant plusieurs secondes, avant de lui infliger la plus belle correction de sa vie.

—Parfois les mots font beaucoup plus de dégât que les coups, tu sais, dit Viola. Ma mère ne m'a jamais frappé, mais ses paroles me font souvent l'effet d'une morsure de serpent...

Ymir baissa légèrement la tête pour l'observer.

—T'as déjà été mordue par un serpent?

—Non, mais tu vois ce que je veux dire.

—Bien sûr. En fait, non. Il va falloir que tu m'expliques.

—Arrête de faire l'idiot, dit Viola en lui donnant un petit coup de coude dans les côtes.

Ymir se mit à rire et fut bientôt rejoint par son amie.

—Tout est sur le point de changer, n'est-ce pas? dit Viola une fois qu'ils eurent retrouvé leur sérieux.

—Qu'est-ce que tu veux dire ?

—Pour nous... Au lycée... Tout le monde doit être au courant de ce qu'on a fait.

Von High était un lycée particulier. En effet, c'était l'une des rares écoles dans tout le pays à mettre la religion au centre de leurs valeurs. C'était d'ailleurs l'une des raisons qui avaient poussé les parents de Ymir et Viola à les y inscrire, espérant ainsi que leurs « déviations sexuelles » seraient tenues en laisse, voire disparaîtraient complètement.

Il n'était donc pas surprenant que leurs « méfaits » eurent été aussitôt dénoncés. Si certains élèves ne respectaient pas les règles de l'école, Bethany et Mark, de toute évidence, n'en faisaient pas partie. Sinon, comment expliquer le fait que le directeur en eut été informé le jour même où cela s'était produit ?

—Probablement ..., concéda Ymir.

Mais en fait, il était quasiment sûr à 100%. La nouvelle avait dû d'ores et déjà se répandre comme une traînée de poudre.

Dès demain, ils sauraient... Dès demain, leurs vies changeraient peut-être à tout jamais... Demain...

Sans même s'en rendre compte, Ymir et Viola sombrèrent dans un sommeil profond, priant tout au fond d'eux-mêmes, que demain n'arrive jamais.

Au-delà du voileOù les histoires vivent. Découvrez maintenant