Garder un oeil sur le point de vue

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Lorsque vous lisez un bouquin, avez-vous parfois l'impression que le narrateur est comme un dieu qui voit tout et qui sait tout?

Il est parfois difficile de bien comprendre ce qu'est le point de vue lorsqu'on écrit. Nous avons tous, à titre d'être humain, une vue d'ensemble relativement limitée du monde extérieur. Il nous est donc impossible de savoir ce que pense notre amoureux ou amoureuse si une grimace apparaît sur son visage. De même avec le directeur qui nous regarde de travers si nous arrivons deux minutes en retard à une réunion exécutive.

Alors, pourquoi avons-nous cette fâcheuse habitude de faire en sorte que notre narrateur sache tout sur tout lorsque nous tapons notre texte dans l'univers littéraire qui nous habite?

Ce conseil peut vous paraître superficiel car après tout, qui s'en soucie? Mauvaise nouvelle :  votre lecteur sera bien vite agacé de découvrir que votre narrateur est un être omniscient alors qu'il n'est qu'un témoin externe de cette scène poignante que vous vous efforcez de construire avec la plus belle des grammaires, assortie d'un riche vocabulaire et réglée dans la conjugaison la plus exacte.

Voici quelques exemples que je commenterai au fur et à mesure :

"J'appuyai nerveusement sur le bouton du troisième mais les portes ne se fermèrent pas tout de suite. Un type à l'allure d'un homme d'affaires stressé entra sans me regarder. Il était dévasté par sa récente séparation avec un mannequin international."

Commentaire : Votre "Je", c'est un peu comme vous. Mettez-vous à la place de ce narrateur et dites-moi sans rire que vous connaissez tout de ce pauvre diable en peine d'amour qui entre dans l'ascenseur...

En voici un autre (Mise en contexte: le personnage de Michel est le personnage principal de l'histoire. Nous le suivons depuis le début dans sa quête pour retrouver le meurtrier de son frère) :

"Michel s'empressa de lui serrer la main. La main froide ne le rassura pas. Du coup, il sut que c'était bien là l'homme qu'il recherchait depuis des semaines."

Commentaire : Si votre personnage principal est présent dans toutes les scènes de votre roman, traitez-le comme si c'était vous, même si, dans ce cas, on utilise la troisième personne. Michel ne peut pas savoir que  le type est l'assassin tout simplement en lui serrant la main. Il nous faut d'autres preuves ou bien on dira : "Cet homme pourrait bien être celui qu'il recherchait car la cicatrice sur la joue droite ne pouvait mentir."

Le narrateur et le point de vue sont deux éléments distincts mais étroitement liés que l'on doit absolument bien comprendre avant de se lancer dans l'aventure du roman. Bien qu'il existe un lien entre le récit à la première personne (écrit au "je") et le point de vue du narrateur, il est tentant de rendre ce dernier aussi puissant qu'un dieu ayant mainmise sur tout un univers fictif. Dans ce cas, gardez à l'esprit que pour éviter ce genre de "je-sais-tout" agaçant, vous devriez vous poser la question "Est-ce que je saurais tout ça, moi, si j'étais dans la peau de ce mec ou de cette fille?"

Vous pouvez opter pour un point de vue totalement omniscient, c'est-à-dire qu'à titre de narrateur anonyme, vous racontez tout ce qui se produit en passant d'une pensée à l'autre, du vécu de l'un au vécu de l'autre, mais faites attention de ne pas vous y perdre. Parfois, il est préférable (sinon recommandé) de laisser des zones grises afin que le lecteur se fasse une idée (quitte à lui jouer des tours, comme ça se lit si sournoisement dans les romans policiers, par exemple).

Le meilleur type de point de vue est à mon avis celui du point de vue  limité. Comme dans l'exemple du pauvre Michel qui cherche un meurtrier, nous le suivons, comme si nous étions avec  lui, à travers ses tentatives, ses échecs, ses déceptions. Nous savons ce qu'il ressent mais pas ce que les autres ressentent - jamais, devrais-je ajouter!

Un autre genre de point de vue, assez intéressant mais plus complexe à "gérer" est celui de points de vue limités multiples. Un bon exemple de cette approche se retrouve dans la très populaire série du "Trône de fer". On accompagne littéralement les personnages principaux à travers des chapitres qui se succèdent en alternance. Le défi est donc de conserver ce privilège du point de vue de l'un lorsqu'on se retrouve avec un second personnage principal qui croise le premier. Quel délice à lire, lorsque cet art est bien maîtrisé.

Il existe de nombreuses variantes de ces points de vue (notamment le roman écrit à la deuxième personne - écrit au "tu" - , plus étrange) qu'a étudié et exposé le montréalais Josip Novakovich dans l'excellent bouquin intitulé "Fiction Writer's Workshop", publié en 1995, qui n'existe malheureusement qu'en version anglaise.

À titre de conseil passe-partout, posez-vous toujours la question suivante : "Est-il possible que X puisse savoir ça de Y? Est-ce que mon narrateur n'est-il pas un peu devin en disant/pensant cela?"

Je sais ce que vous pensez... Non, je blague : je ne le sais.

Dans un prochain texte, je traiterai des dialogues.

J'espère que vous appréciez mes réflexions et n'hésitez pas à commenter et à voter pour ces textes, surtout si vous croyez qu'ils peuvent aider nos confrères et consœurs sur Wattpad à écrire des romans extraordinaires.

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