Flash back
***Adrien 10 ans et demi***
- Il était une fois … un atron qui vivait tout … stule. Comme la plupart des … atrons, il avait … des donites pointues et un grand… troche. Il était toujours de mauvaise … lanien et avait toujours… manin.
Maman me regarde sans manifester un quelconque intérêt pendant un bref moment avant de me demander de recommencer d’une voix glaciale qui me fait frissonner de peur…
- Il était … une fois un aton…
Ma lecture est coupée par la retentissante gifle que je reçois. Ma joue me brule et mes yeux se remplissent de larmes. C’est encore plus difficile de lire maintenant que je n’y vois plus rien à cause des larmes. Mais j’échappe à la lecture car elle prend la parole :
- « Il était une fois un dragon qui vivait tout seul, lit ma mère. Comme la plupart des dragons, il avait des dents pointues et une grande bouche. Il était toujours de mauvaise humeur et avait toujours faim ». Comment n’arrives-tu pas à lire un texte aussi simple Adrien, mon Dieu à ton âge ! Non mais tu es bête ou quoi ?
- …
- Recommence.Je recommence encore et encore sans jamais parvenir à lire correctement le texte. Je savais comment allait se passer cette séance de travail avec maman et c’est pour ça que j’ai caché mes cahiers sous mon lit. Mais en faisant ma chambre, elle a découvert tous les devoirs dissimulés depuis près d’une semaine.
Je ne le fais pas exprès. C’est juste que les mots et moi somme fâchés. Plus j’essaie de les déchiffrer et plus le sens de tout ce que je lis m’échappe et moins je m’en sors. Comment font les autres ? Mystère ! La lecture leur semble si facile. Mais pour moi c’est une vraie torture. A la maison avec maman ou à l’école avec les maitres c’est exactement la même chose.
- Quand je pense que tu étais mon ticket gagnant pour la richesse, s’exclame maman avec rage. Il suffisait que tu sois normal. C’était trop te demander !! Mais même ton père ne veut pas de toi et je fais quoi moi maintenant avec un enfant débile comme toi. Ton père a beaucoup d’argent et un seul enfant, une fille avec sa femme qui ne peut plus en avoir. Et j’ai réussi à lui mettre le grappin dessus. Il m’a promis tout ce que je voulais si je lui donnais un fils. Un héritier. Tu étais mon ticket gagnant. Mais regarde-toi ? Maigre et bête. Normal qu’il ne veuille pas de toi. Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour te mériter.
Je suis resté assis à la regarder déambuler dans la cuisine, une cigarette à la bouche et un verre de trop dans le nez. Je ne peux plus me retenir de pleurer à chaudes larmes. Elle me ressort toujours cette vieille litanie quand elle est saoule. J’ai l’habitude de la décevoir, de décevoir tout le monde mais son discours est toujours aussi difficile à encaisser malgré les années qui passent. Au début, elle pensait qu’il s’agissait d’un problème de vue. Mes enseignants aussi d’ailleurs. Et en effet, j’avais des problèmes de vue. J’ai vu un ophtalmologue. Une grosse paire de lunette plus tard, le problème était toujours là. Malheureusement.
La famille de mon père fait partie de cette génération de béninois installées au Gabon depuis les années quarante donc bien avant les indépendances. Adanlossessi, mon grand père a dû adjoindre un nom gabonais au sien en prenant la nationalité de son pays d’adoption et il a choisi Adiahénot qui était le nom de son meilleur ami. Il est mort jeune mais a quand même eu le temps d’avoir un unique fils nommé Jude.
Et Jude, marié et heureux en ménage mais en quête d’un héritier, a dû se résoudre à chercher une maitresse pour lui donner le fils tant désiré. Et c’est moi qui suis apparu, maigre et bête. Mon père était un homme massif et imposant, d’une intelligence pointue qui lui a permis de construire un empire ici. Avec mes faibles capacités et l’attitude plutôt libre de ma mère, le doute sur nos liens de sang s’est vite installé et il a fini par quitter maman. Elle n’a pas eu droit à la récompense tant attendue. Elle qui pensait qu’il lui construirait une maison, la ferait voyager et lui ouvrirait plein de boutique. Son rêve s’est envolé ! Je suis devenue à ses yeux une charge qui l’empêchait de rencontrer d’autres hommes solvables. Et elle me le faisait payer chaque fois qu’elle le pouvait.