La Gourmandise

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On raconte que quelque part en Haïti dans une institution de l'église catholique pour garçons, située au Centre-ville de Port-au-Prince, qui assure une double formation religieuse et académique pour la jeunesse haïtienne, une femme était autorisée à devenir prêtresse par les religieux de la congrégation du Saint-Esprit. Embauchée par son évêque pour animer la paroisse, présider les cérémonies, être théologienne, catéchiste, permanente pastorale, visiteuse de malades, femme de prière ou confidente des âmes, elle ne fait que ça! Même mieux qu'un homme! N'ayant reçu pour autant aucun sacrément qui la rendrait différente et la mettrait à part des autres. La prêtresse Sainte Marie Thérèse se définissait par ses tâches ou sa fonction. Elle se définit par ce qu'elle est: une représentation du fruit défendu.

Je m'appelle Maëva Désir, j'avais 18 ans à l'époque du Romantisme haïtien. Parfois mon corps en mue était tel le théâtre d'une reviviscence pulsionnelle, qui ne cessait de me confronter à l'appel du désir. L'apparent équilibre de la période de latence s'y trouvait irrémédiablement brisé, les questions liées à l'amour et à la passion devenant désormais des incontournables compagnons de fortune et d'infortune. Les expériences amoureuses agissaient alors souvent comme de véritables caisses de résonance, où la charge émotionnelle et affective était comme démultipliée... J'étais une jeune fille qui venait ainsi s'y heurter à des vécus insupportables, et tenter l'irréparable, le cœur en déroute.
- Vu toutes les bêtises que tu as faites, tu as besoin de te confesser Maëva, suggéra Anna Clairvil.
- Tu trouves? J'ai été trop longtemps une malmenée de l'amour, cherchant auprès d'un féticheur ou d'un psychologue tantôt une élucidation, tantôt une consolation ou un étayage pour survivre. Je réalise qu'il me faut un changement rapide. Je crois que je vais à Sainte Madeleine, la prêtresse est une jeune femme aussi jolie que moi. On raconte que les prêtres là-bas n'arrêtent pas de lui faire l'amour dans la clandestinité. Une situation difficile à assumer, autant pour les intéressés que pour l'institution.
- Tu as de quoi en raconter Maëva, ajouta Anna.
Je me demandais intérieurement si j'y irais pour mes fautes ou pour découvrir si la sœur serait une lesbienne parmi tant de prêtes amoureux infidèles à l'obligation du célibat.
Une fois à l'intérieur du confessionnal, une douce voix depuis un grillage, me parvint à mes oreilles.
- Il y a longtemps que vous n'avez pas entretenu le Seigneur de vos péchés, madame? s'enquit la prêtresse.
- Oh oui, ma Mère: depuis ma communion. Avec tout ce que je gère au quotidien, on finit par oublier le bon Dieu.
- Vous devez en avoir de choses à vous faire pardonner. Ça tombe bien, vous êtes la dernière. J'ai tout mon temps. Lequel parmi les sept péchés capitaux dont avez-vous été coupable? me demanda-t-elle.
- Euh...Lequel ma Mère?
- Citons la GOURMANDISE...
- Souvent ma Mère, répondit Maëva prestement. Tout a commencé le jour où j'ai décidé de plonger dans l'amour physique affronter tous les instincts, les passions, la sensualité, l'océan des plaisirs, comme une quête de performance et d'assouvissement de fantasmes qui plongent ses racines dans la tension d'un sexe libéré mais qui n'est pas libre et qui est toujours interdit, stimulé par la pornographie, pollué par la surabondance d'images érotiques omniprésentes. Par conséquent, la véritable quête amoureuse en devient périlleuse car elle me rend vulnérable et donc faible dans un monde où tout va très vite. Ainsi le charnel stimulé en permanence m'éloigne un peu plus de toute expérience d'amour, en cachant cette vulnérabilité. Tout ça parce que je ne pouvais plus me contenter de ne prendre de l'amour que des doses homéopathiques, c'est-à-dire me contenter d'un regard, d'un sourire, de quelques paroles poétiques, d'une poignée de main. Venant de mon copain capois, Charles Alexis Oswald Durand, tout ça ne faisait que m'exciter sexuellement d'une puissance telle qu'elle provoquait une vague de vibrations jusque dans les moindres cellules de mon être et faisait trembler tout le réseau corps-esprit-âme. Ce jour-là, je me suis libérée les pensées, j'ai bu trois fois sa liqueur. Et j'en voulais encore, mais lui était épuisé. Dès les premières gouttes, j'ai aimé ce liquide chaud et légèrement salé qui envahissait ma bouche. Avant de s'en aller, il m'a embrassé sur mes lèvres charnues puis m'a surnommée Choucoune, en me faisant croire qu'il s'agirait de notre relation.
Une semaine plus tard, je lui ai offert mon pucelage en échange de son foutre car il m'avait promis de me le faire boire. J'aimais bien mon copain, mais mon tempérament en exigeait toujours plus et j'ai fini par le mettre à genoux. D'ailleurs, j'étais déjà sur le point de rompre avec lui. Car le bruit courait que l'histoire de Choucoune était tirée de la liaison qu'il a entretenue avec Marie- Noëlle Belizaire qui l'a quitté par la suite à cause de ses infidélités répétées.
Pendant plusieurs mois, j'ai multiplié des rencontres avec une seule idée en tête: ne boire que leur jus. Jamais je n'aurais cru en boire autant le soir où j'ai été l'invitée mystérieuse par un ami, Jean-Baptiste Massillon Coicou, qui enterrait sa vie de garçon avec une bande de copains dont certains depuis ses études dans une école catholique pour garçons, d'autres du lycée national. J'ai embouché tous les sexes qui prenaient vite forme sous ma langue devenue experte. Je me caressais pour connaître moi aussi le plaisir. Alors que leur jus se répandait dans ma bouche.
- Est-ce cela que l'on appelle le péché de gourmande, ma Mère? Souhaitez-vous en entendre d'autres?

Pardonnez-moi ma Mère, j'ai péchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant