2-"Ce fut un jour sombre." 2/3

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Un reflet argenté fila entre les vaguelettes scintillantes. Une mouette piqua dans les flots et en jaillit dans une grande gerbe d'écume, un poisson gigotant bien coincé dans l'étau de son bec. Sur la rive, une salve d'imprécation accueillit cet exploit. L'oiseau s'enfuit avec son butin, ignorant les récriminations de la créature terrestre moins gâtée qu'elle par la nature.

La créature en question rejeta sa canne à pêche de fortune avec un grognement exaspéré. Pourtant le régime poisson commençait à lui donner la nausée. Ces derniers jours, elle n'avait pas rechigné à diminuer sa portion au profit de celle de Tempête, qui lui se moquait pas mal de ce qu'il avalait du moment que cela remplissait son estomac. Le petit animal était tout le temps affamé et il semblait à Saï qu'elle passait son temps à chercher de la nourriture.

Et ce n'était pas plus mal d'ailleurs. Avoir sans cesse besoin de subvenir à leurs besoins de base l'empêchait de trop réfléchir, de penser à sa famille qui l'avait rejetée. Le souvenir de son père et de son visage de marbre alors qu'il la reniait, la mettait dans une colère folle. Et lorsqu'elle se prenait à songer à sa mère, sa gorge se nouait et des larmes envahissaient aussitôt ses yeux. Alors elle préférait les chasser tous de son esprit et se concentrer sur leur survie.

Pour varier son ordinaire, la jeune fille s'était essayée à la fronde, mais les résultats n'étaient pas à la hauteur de ses espérances. Elle était assez vite arrivée à atteindre une croix gravée sur un tronc à cinquante toises, mais toucher des cibles en mouvement s'était révélé hors de ses compétences actuelles. La jeune fille récupéra sa maigre pêche et repartit vers leur abri.

Cela faisait maintenant presque trois semaines que la jeune fille avait quitté Kiyokita avec son petit compagnon. Elle avait aussitôt pris la direction du Nord et de la mer, sans trop savoir pourquoi. Ne pouvant se résoudre à trouver sa place dans une ville ou un village où l'existence de Tempête n'aurait pu bien longtemps rester secrète, Saï avait aménagé leur refuge dans une grotte peu profonde qu'elle avait découverte dans les falaises de la côte. Un auvent assemblé en bambous agrandissait un peu l'espace vivable.

En plein milieu de la natte tressée, Tempête dormait, roulé en boule comme s'il était seul au monde. Saï déposa ses deux misérables poissons dans un panier tressé dont elle n'était pas peu fière. Elle piocha à côté une grosse mûre noire qui reposait avec ses sœurs dans ce qui ressemblait à une lame arrachée d'un tonneau. C'était incroyable toutes les saletés que pouvait rejeter la mer ! Des saletés tout à fait utilisables pour se monter un mobilier presque correct.

Au vu de son sommeil, Tempête ne se réveillerait pas avant une bonne heure, la jeune fille pouvait donc repartir vagabonder. Elle attrapa son bâton ferré de bergère. Les plumes de Chem, cette herbe dont lui avait parlé Trilyu, si nécessaire à la croissance des griffons, allaient bientôt manquer et elle savait où en trouver. Il était amusant de se rendre compte des propriétés de cette herbe finalement assez courante et qu'elle avait arrachée par poignée en tant que mauvaise herbe dans leur potager.

Saï partit dans les rochers, ses longs cheveux noirs jouant avec la brise marine. Ces dernières semaines avaient vu son corps maigrir et se hâler, mais elle n'avait rien perdu de sa vitalité.

Elle décida de faire un petit crochet par la plage, au cas où elle ferait quelques trouvailles pour améliorer son intérieur. Des restes de vagues écumeuses venaient se briser sur le rivage, témoins de la houle violente qui devait souffler au large. La jeune fille avait toujours été fascinée par la mer. Et cela avait sûrement inconsciemment influencé la direction de son exil.

Son regard inquisiteur remarqua vite une anomalie sur la plage. Là-bas, contre les rochers à quelques brasses du bord, une forme sombre semblait échouée. Saï se mit à courir, sa curiosité piquée au vif. De plus près, elle vit qu'il s'agissait d'une barque. En travers dans les rochers qui avait déchiré sa coque, elle était inclinée de façon inquiétante.

Poussières de TerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant