15- "Je préférais partir en éclaireur." 2/2

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Cela faisait deux jours que l'aéronef était amarré dans la petite crique entourée de falaises qu'Eliz avait choisie. Elle se situait sur la côte orientale de la pointe sud de l'île. Pour l'atteindre, ils avaient décidé de contourner Riven'th assez largement pour ne pas être vus avant leur débarquement. Cela avait bien rajouté un jour entier de voyage mais même Eliz devait bien convenir qu'à ce stade de l'invasion, quelques jours ne faisaient pas grande différence.

Lorsque Kaolan, très à son rôle de vigie, avait crié à l'approche des terres, Eliz était sortie en trombe et s'était jetée contre le bastingage avec une telle force que Saï avait bien cru qu'elle allait passer par-dessus bord. Tous ses efforts de ces derniers mois n'avaient eu d'autre but que ce moment-là. Elle aurait bien voulu ramener une force de frappe supérieure, mais ses chances de réussite étaient quasi-nulles, elle s'en rendait bien compte, maintenant. Les yeux braqués au loin, humant l'air avec avidité, elle avait follement espéré que ses sens pussent déjà lui donner des informations sur l'état de son pays natal.

Pourtant, malgré sa hâte, elle avait décidé de prendre le temps de refaire le stock de provisions pour le voyage de retour de Maître Ornwell et de sa fille. Voyage qui lui tirait souci, et c'était bien là le seul point sur lequel elle était d'accord avec Razilda, même si l'inventeur leur avait assuré qu'ils étaient partis en connaissance de cause. La présence de Jabril la rassurait un peu, un membre d'équipage de plus était un ajout non négligeable. Surtout que le jeune homme avait manifesté un intérêt passionné pour la machine volante. Lorsque Maître Ornwell avait évoqué la possibilité de faire escale sur Jezzera'th, Jabril n'avait pas eu l'air de trouver l'idée à son goût. Orphelin, revenir sur son île natale semblait présenter moins d'attrait pour lui que rester à bord de la merveilleuse machine qui l'avait sauvé.

Au cours de ces deux jours, la chasse et la pêche avaient été les principales activités du petit groupe. À quelques toises de la côte, le gibier n'était pas foisonnant mais lièvres et oiseaux avaient fait l'affaire, assorti d'un sanglier inespéré. Saï surprit tout le monde par son habileté au dépeçage, mais malgré cela, elle dut interrompre sa tâche pour emmener Yerón à la cueillette dans le bois voisin et lui montrer quelques espèces comestibles. Le jeune homme se révéla en effet totalement inutile sur toutes les activités concernant la survie. Il ne manquait pas de bonne volonté, mais c'était bien là la seule chose qu'il avait à offrir. Las de l'avoir dans leurs jambes, Kaolan, Eliz et Razilda avaient tour à tour essayé de s'en débarrasser en s'offrant mutuellement son aide. Pour ne plus voir sa mine triste et ses bras ballants, Saï avait fini par décider de s'en charger.

Et lorsque le dernier morceau de viande fut salé et que le dernier tonneau fut refermé et hissé dans l'aéronef, tous surent que le moment de la séparation était venu.

Le soir-même, ils s'autorisèrent un repas plus abondant que les jours précédents. Avec un sourire espiègle, Maître Ornwell ouvrit même un petit tonneau d'un alcool de sa composition, la distillation étant visiblement une corde de plus à un arc déjà fort bien fourni. Comme le repas s'éternisait, Jabril se mit à chanter des airs de son île puis ce fut au tour de Saï. Ne voulant pas être en reste, Lyssa se lança à son tour. Ce soir-là, dans l'ambiance conviviale de l'aéronef, tous oublièrent un instant leurs missions et leurs objectifs variés, profitant simplement du moment présent. Et pour certains, ce simple plaisir ne s'était plus présenté depuis longtemps.

Puis ce fut le départ. Dès leur réveil à l'aube, les passagers rassemblèrent leurs affaires et emballèrent des provisions. Lorsqu'Eliz sortit de la cabine, sac sur l'épaule, elle tomba nez à nez avec Razilda sur le point d'y entrer. Celle-ci la détailla des pieds à la tête et haussa un sourcil :

– Tu comptes traverser Riven'th habillée ainsi ? demanda-t-elle froidement.

Choquée par le ton, Eliz baissa les yeux sur sa tunique bleue brodée du soleil et de l'épée, le blason de la famille royale et comprit vite où était le problème. Vexée d'avoir été prise en flagrant délit d'inattention, elle retourna dans la cabine dont elle claqua brutalement la porte.

Poussières de TerresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant