Retour à Tokyo

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« Dis voir Hito, ça fait combien de temps que tu n'as pas été au Japon ? »

La jeune femme leva les yeux de son livre pour regarder l'homme allongé sur le transat à côté d'elle.

Ca fait dix ans cette année. Pourquoi mon cœur ?

Oh, comme ça... Il lui caressa la cuisse. Tu aimerais y retourner ?

Evidemment. Mais on n'arrive jamais à se libérer assez longtemps pour y aller... Elle affichait une mine triste et reprit son roman, pour signifier qu'elle n'avait pas envie de parler de ça. Une main aux longs doigts fins se posa dessus et le fit chuter sur les jambes d'Hitomi.

Si je te disais... Que tu pouvais commencer à préparer ta valise ?

Pardon ? »

Le garçon se leva et Hitomi l'entendit fouiller dans le salon. Il revint et agita une lettre sous le nez de la brune. Elle la saisit et la déplia, toujours allongée sur son transat.

" Chère Mademoiselle Saito,

L'Agence Beltet Japon vous invite à promouvoir la nouvelle collection de l'Espoir de l'année.

Comme mentionné dans notre précédent courrier, nous vous attendons du 21 Août au 1er Décembre de cette année dans le but de poser et défiler.

Nous vous retournons votre exemplaire du contrat d'exclusivité signé par nos soins.

En attendant votre arrivée avec impatience.

Agence de mannequinat Beltet Tokyo.''

Hitomi relut la lettre deux fois avant de comprendre qu'elle avait, sans le savoir, signé un contrat pour une collection japonaise. Elle allait pouvoir rentrer chez elle, revoir sa famille et ses amis, s'ils se souvenaient d'elle. Peu après le concours inter-collèges, une célèbre agence de mannequins lui avait proposé une bourse d'études en France. Elle avait alors quitté son pays à la fin de l'année scolaire et commencé des études de couture au sein d'une grande maison française, en même temps qu'elle se formait au métier de mannequin. Pendant deux ans, elle avait reçu des nouvelles de ses camarades toutes les semaines malgré le décalage horaire. Ensuite, il n'y avait plus que Mariko qui lui donnait des nouvelles de tout le monde, puis plus rien.

La jeune mannequin avait de moins en moins de temps pour répondre aux messages. Les personnes qui avaient gardé le plus contact avec elle étaient en fait les membres du Tokyo Manjikai. Les garçons lui envoyaient même des lettres pour Noël et son anniversaire. Mitsuya, quant à lui, s'était fait discret au fil des mois. Mais pendant trois ans, il lui avait envoyé des lettres, accompagnées de petites peluches, pour chaque Saint-Valentin. Puis elle avait rencontré Gaëtan.

Gaëtan était photographe pour Beltet, l'agence chez qui elle avait signé en arrivant en France. Elle l'avait déjà croisé dans les couloirs de la boîte mais n'avait jamais travaillé avec. Il était plutôt spécialisé dans les photographies spectaculaires, où les mannequins se mettaient presque en danger. Finalement, pour une collection Galeries Lafayette, on lui avait demandé de poser pour lui. Elle était suspendue sous la coupole, à 10 mètres au-dessus du sol, et lui la photographiait depuis le rez-de-chaussée. Après un long moment d'angoisse, elle avait retrouvé la terre ferme et il lui avait proposé d'aller boire un verre.

De fil en aiguille, une relation s'était établie entre les deux et ils avaient emménagé ensemble. Cela avait permis à Hitomi de quitter son petit studio, pour un superbe deux pièces dans le quartier latin. Elle n'aimait pas spécialement le côté huppé de cet arrondissement de Paris, mais Gaëtan y trouvait l'inspiration dans les jardins du Luxembourg, alors elle l'avait suivi. En quelques mois de vie commune, elle avait fini par cesser de répondre aux garçons, qui pourraient nuire à sa réputation si quelqu'un apprenait qu'elle fréquentait les membres d'un gang japonais : « Tu sais, les gens ont peur des Yakuzas en France. » Mais ce ne sont pas des Yakuzas n'avait-elle cessé de lui répéter. C'était peine perdue et elle avait rangé les petites peluches de Mitsuya dans une boîte à souvenirs.

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