Combien de fois évite-t-on la mort au cours d'une vie ?
Une question que l'individu lambda préfère ne pas se poser au risque de développer un syndrome de l'anxiété profond. Mais la question a de quoi interroger, car sans même le savoir, on a tous déjà frôlé la mort. Moi, par exemple, j'en avais fait des chutes, j'en avais eu des frayeurs, des maladies.
Il y avait eu ce passage piéton que j'avais commencé à traverser alors qu'un scooter roulait au-dessus de la limite autorisée, et sans la main de mon père pour me retenir, qui peut dire ce qu'il serait advenu ? Il y avait eu cette crise d'appendicite détectée tardivement. Il y avait eu cette chute de cheval où j'avais perdu connaissance... Je m'en étais sortie avec des blessures plus ou moins graves, des frayeurs qui avaient plus ou moins duré, et je n'avais gardé que le plus important : j'étais vivante. Dans le fond n'avais-je pas été chanceuse un nombre incalculable de fois ?
Lorsque j'ouvris les yeux sur une lumière blafarde et aveuglante, quatre murs blancs et une odeur de désinfectant, je compris que j'avais une fois de plus échappé à la mort.
Ma tête me faisait mal, comme si quelqu'un utilisait un marteau-piqueur entre mes deux yeux. Mes yeux se balançaient d'un coin à l'autre de la chambre d'hôpital au rythme d'un bateau en mer. On avait placé une perfusion dans le pli de mon coude gauche. En essayant de bouger la nuque, je gémis. Pas de doute, mon dos avait heurté quelque chose de dur.
— Ah, vous êtes réveillée, c'est bien, c'est une très bonne chose même.
J'entendis ces mots avant de voir l'infirmière penchée sur un document. Elle déposa son bloc-note et fit le tour du lit pour prendre ma tension.
— Che cos'è... est-ce que... la lucce...
— Pardon ?
— La lumière, il y a un problème avec la lumière ?
— Non, pourquoi ?
— Vos cheveux sont roses.
L'infirmière devait à peine avoir trente ans, des traits tirés mais sérieux, qui contrastaient avec la couleur criarde de son carré plongeant.
— C'est tout à fait normal. Je veux dire, ils sont bien roses, vous n'avez pas de souci à vous faire.
Quatre murs blancs autour de moi. Ça non plus, ça n'était pas normal. Les murs ne sont pas faits pour être blancs, mais colorés. Qui voudrait garder des murs vierges sans succomber au désir irrépressible d'y lancer un pot de peinture ?
— Ma tête...
— C'est elle qui a pris le plus gros du choc. Votre voisin vous a retrouvée en bas des escaliers et il a prévenu les secours. Il ne faut pas trop bouger, vous avez un gros pansement.
Une chute ? Dans mon immeuble ? En plus de la désorientation, j'avais la nausée, ce qui n'avait rien à voir avec le choc à la tête.
Les images me revenaient.
Je monte les escaliers de l'immeuble, mon carton à dessin sous un bras, des courses dans l'autre et je réussis à extirper mon téléphone portable qui vibre dans ma poche arrière. Une voix inconnue. Est-ce que je suis bien Elena Razzano ? Oui, c'est moi. Il commence en disant qu'il est désolé. Je suis embêtée, je n'ai pas l'habitude qu'un inconnu s'excuse et je suis prête à lui dire qu'il s'est trompé de numéro. À moi, on ne m'a causé aucun tort. Puis il me donne son nom. Je ne l'ai pas retenu, mon cerveau a juste enregistré « docteur ». Quand un docteur est désolé, ce n'est pas pour vous annoncer que vous avez gagné dix années d'espérance de vie. D'ailleurs mon intuition vise juste, puisqu'il enchaîne : il a une très mauvaise nouvelle, et celle-ci doit se faire par téléphone et surtout sans tourner autour du pot.
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L'art est long, la vie est courte [PUBLIÉ]
ChickLitElena, étudiante aux Beaux-Arts, a grandi dans une famille italienne, entourée d'artistes : sa mère danse, son frère joue du violon et son père cuisine. Ils forment l'image d'un bonheur idyllique. Lorsque la vie d'Elena prend un virage tragique et...