Le lendemain après-midi, direction le grenier pour une opération nettoyage et rangement. Ce grenier était le cœur de la maison, l'organe émotionnel, le lieu des plus belles découvertes. Avec ses toiles d'araignées, son film de poussière et son odeur de renfermé, il paraissait ne pas vouloir être dérangé. Plafond gris ardoise, poutres marron bronze, avec ses taches de violine et d'ébène, le grenier était un tableau aux couleurs du temps qui a fané.
Sophie repoussa les volets.
La pièce, encombrée de cartons de jouets, de commodes anciennes et usées, de fauteuils élimés et autres vieilleries en tout genre, aurait ravi des collectionneurs. Les Gallagher ne jetaient rien. Ils gardaient, ils rénovaient, ils entassaient, ils laissaient prendre la poussière, mais il aurait fallu qu'on les menace de les renvoyer en Irlande en traversant la mer à la nage pour qu'ils jettent aux ordures leurs vieux meubles. Et encore.
— Je me suis dit qu'on pourrait faire deux catégories, commença Sophie. Les choses à garder et...
— ...les choses à garder ? plaisanta Mei.
— Les choses qui peuvent potentiellement être données.
Mei souleva un drap qui recouvrait un rocking-chair – le velours anciennement bleu turquoise était devenu gris.
— Merveilleux. On a bien fait d'annuler nos plans cet été, c'est le temps que ça va nous prendre !
Sa phrase résonna en moi un moment. J'aurais pu passer outre, mais Sophie jeta un regard appuyé à Mei qui rentra la tête dans les épaules comme un chien pris en faute qui vient de pisser sur le tapis.
— Vous avez annulé vos plans ? Pour moi ?
Je me revis à l'hôpital, les suppliant de faire quelque chose pour me sortir de là. À aucun moment je n'avais pensé à ce que cela leur coûterait, leurs sacrifices personnels, leur engagement auprès de l'équipe médicale...
— Je travaillerai au pub seulement au mois d'août, se contenta de dire Sophie, et Connor viendra un peu plus tard.
— Et j'ai décalé mes cours de chinois, conclut Mei. Le petit Titouan a failli me séquestrer pour que je ne quitte pas la maison. C'est le plus jeune garçon qui m'ait dit que je lui avais brisé le cœur et qui... Bref, té.
Je me mordis la lèvre, ennuyée.
— Je ne vous ai pas demandé de...
— Elena, ce n'est pas grave, me dit doucement Sophie. Honnêtement, ces boulots d'été ne valent pas grand-chose.
Le lien d'amitié était toujours là, malgré leurs regards fuyants. Elles étaient ennuyées pour moi et je l'étais pour elles. Mon incapacité à apprécier leurs efforts ne changeait rien. Mon incapacité à les remercier ne changeait rien. Elles seraient toujours là.
— Par quoi on commence ?
Mei venait de tirer sur le plus grand linge – en dessous duquel se trouvait un fauteuil de barbier – soulevant par la même occasion un nuage de poussière.
Je me mis à tousser.
— L'aspirateur, répondis-je en même temps que Sophie.
Deux heures plus tard, nous avions à peine fini d'aspirer poussières, résidus, et toiles d'araignées. L'endroit était enfin plus agréable. J'avais les doigts noirs à force de déplacer des cartons et meubles crasseux et je m'essuyais machinalement sur mon short. L'activité, combinée avec l'air chaud qui entrait par les fenêtres, me faisait suer à grosses gouttes.
Chacune gérait un périmètre du grenier. Sophie avait commencé une liste sur son téléphone portable et supervisait les opérations. Mei poussait allègrement les commodes et fauteuils lorsqu'il était nécessaire d'accéder à d'autres commodes et fauteuils.
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L'art est long, la vie est courte [PUBLIÉ]
ChickLitElena, étudiante aux Beaux-Arts, a grandi dans une famille italienne, entourée d'artistes : sa mère danse, son frère joue du violon et son père cuisine. Ils forment l'image d'un bonheur idyllique. Lorsque la vie d'Elena prend un virage tragique et...