Verdun, le 18 juillet 1916
Mon amour,
J'ai réussi à trouver un endroit tranquille pour t'écrire, et je n'ai que quelques minutes avant de devoir retourner apporter mon aide.
Ma douce Irène, la vie dans les tranchées est de plus en plus difficile. La faim se fait parfois douloureusement sentir, car il manque ici de tout. En compagnie de la boue et des rats, les moindres instants de liberté nous servent à nous reposer, si jamais le ballet des obus et le déluge des balles n'ont pas repris. Ce n'est d'ailleurs pas seulement cela qui fait tomber chaque jour nos compagnons, mais parfois la folie qui les prend tout à coup et les pousse à la fuite, ou encore l'immense fatigue créée par le manque de nourriture dont j'ai commencé à te parler. Pardonne moi, entre le silence total et les tirs qui se font parfois entendre, mes idées s'éparpillent. Nous sommes pour l'instant dans un moment tranquille, et, même si nous sommes mieux installés que les Français, et que nos tranchées sont davantage vivables, elles se détériorent rapidement. Les cadavres des nôtres, sur le champ de bataille, sont méconnaissables, écrasés par les obus et embaument les lieux d'un parfum de mort, qui, malheureusement, ne nous atteint même plus.
J'aimerais penser que la situation peut s'améliorer, mais je n'y crois plus. Voir la guerre et la mort en face a achevé de briser nos illusions, car j'en possédais autant que mes camarades. Je ne ressens, par moment, rien d'autre que de la tristesse et un sentiment d'impuissance qui balaie tout sur son passage. Au milieu des tranchées ou sur le champ de bataille, nos camarades morts se rappellent à nous et les souvenirs refont surface. Se souvenir pour ne pas les oublier... Mais il faut vivre, car la vie doit l'emporter sur la mort, même si je ne sais pas combien de temps je tiendrais cette ligne de conduite. Je ne sais vraiment pas... Chaque nouveau mort, peu importe son origine, me remplit de colère et de rage. Mais je me rends compte que cela masque surtout la peur que je ressens, car je peux très bien être le prochain à tomber. Pardonne-moi de ne plus être le courageux soldat que tu as vu partir il y a deux ans. En effet, désormais, j'ai peur. C'est cette peur qui ronge petit à petit les miettes de courage qu'il me reste, difficilement rassemblées. Je continue malgré tout de penser à toi, mon amour, en me disant que je finirai par voir le bout de tout cela, et que je pourrai revoir ton doux visage après cette terrible guerre.
Oui, la guerre est terrible parce qu'elle plonge des millions de gens dans la souffrance, aussi bien ici, au front, qu'à l'arrière. La guerre nous a tout pris : notre jeunesse, notre coeur, notre âme, notre humanité. La guerre nous as même volé nos vies, à nous, jeunes soldats, car nous ne savons pas ce que nous deviendrons lorsque nous devrons rentrer à la maison, nous qui, en tant que jeunes hommes, n'avons connus que cela. La guerre n'apporte rien de bon à personne ; regarde le nombre de morts, la peur omniprésente, le monde qui explose, et ce, depuis presque deux ans.
La guerre pour défendre son territoire, la guerre pour aider ses alliés, mais dit-on jamais " la guerre pour aider les hommes " ? Je ne crois pas. La guerre est un jeu de pouvoir juste bon à faire mourir le peuple. Pour faire la guerre, on ne demande guère son avis à la population. Non, la guerre, c'est une affaire de politique à laquelle, nous, pauvres gens du peuple, ne comprenons rien ! Nous sommes si ignorants... La guerre ne sert aucun idéal, malgré tout ce que les grands de ce monde peuvent dire. Seulement celui de la mort, peut-être. Après tout, il est si facile de détruire...
La guerre est triste, aussi ; un peu plus chaque fois qu'un hommes est tué, à chaque fois qu'un homme est blessé ; car la guerre transforme l'homme en une personne anonyme, au milieu d'une masse d'autres anonymes.
Voilà ce que la guerre crée : une masse de gens perdus.
Pardonne-moi ses pensées emportées, mais j'avais besoin de tout te dire.
Je pense à toi et te confie le courage qu'il me reste. Je t'aime, mon amour.
Paul, ton égaré.
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Eclairs [ Recueil de nouvelles ]
Short Story" Parce qu'ils sont brefs, multicolores, et qu'ils nous hanterons longtemps. " [ Recueil de nouvelles ]