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Parfois, il arrivait que moi-même je doutais de mon état mental, que je n'étais pas comme les autres. Je me disais que j'étais paranoïaque, qu'ils avaient tous raison. Je me voilais la face pour ne pas me faire rejeter, mais plus j'y pensais, et plus cette idée me paraissait réaliste et vraie. Je le savais très bien que ça pouvait être ridicule aux yeux de certains, mais étais-je le seul à avoir l'esprit assez ouvert pour croire en cela ? Il fallait croire que oui. 

Deux jours. C'était la durée de ma longue punition, donnée par mes tendres parents, voulant me punir de leur avoir "fait honte devant des dizaines de personnes". Oui, je m'étais énervé en plein centre-ville. Oui, les gens nous ont dévisagé, tant je haussais la voix contre mes parents qui n'essayaient même pas de me croire, moi, leur enfant. J'ai eu comme seul résultat un enfermement complet durant tout le weekend dans la chambre. J'avais eu le droit, seulement, de sortir de ma chambre pour aller aux toilettes, me laver ainsi que manger avec le reste de ma famille, soit ma mère, mon père, et ma sœur. Ces fameux repas qui étaient ma "promenade" de la journée (car j'avais accès à la cuisine et au salon, quelle chance !) m'avaient permis de me rendre compte que j'étais réellement seul : mes parents discutaient entre eux, sans prendre la peine de me donner ne serait-ce qu'une once d'attention, tandis que ma sœur était bien trop plongée dans son téléphone portable pour remarquer mon existence. A 13 ans, c'était l'âge aux jeunes filles de discuter des heures et des heures avec leurs copines en texto. Et pas qu'en texto d'ailleurs; je l'avais déjà entendue discuter avec Sarah, une de ses meilleures amies -si je ne me trompe pas-, au téléphone. Il fallait dire que les murs étaient très fins et qu'il m'était facile d'entendre ma sœur dans la salle adjacente.

Après ce weekend des plus ennuyeux que je n'avais jamais vécu, je pus enfin sortir. De toute façon, mes parents n'avaient pas le choix : j'avais cours. Avant de sortir de la maison, ma mère, plus incompréhensive et énervante que jamais, me demanda de ne pas reparler de cette histoire à mes amis. Trop tard. Margaux était déjà au courant, et elle aussi ne m'avait pas cru, elle pensait que je plaisantais, et je n'avais pas persister. J'avais bien trop de gens qui me pensaient fous.


La première fois que cette idée m'avait traversé l'esprit, c'était ce jour de Saint-Valentin, jour qui devait pourtant être une très belle journée mais qui avait été la genèse de la "folie", d'après ma mère. Ce jour-là, alors que mes parents discutaient dans la salle à manger, je me faisais un goûter (car oui, malgré tout, je restais un enfant dans ma tête et je devais avoir mon petit gâteau de quatre heures). J'avais posé précieusement mon téléphone portable à côté du micro-onde, je m'en souviens très bien ! Je suis certain de ça ! Mais pourtant... Alors que je venais de me servir dans le placard ce que j'allais grignoter, mon téléphone portable avait disparu. Enfin... "disparu", je l'avais retrouvé deux minutes plus tard, mais durant ces deux minutes, je le pensais évaporé. J'avais regardé partout dans la cuisine, car j'étais certain de l'avoir pris en sortant de ma chambre et de l'avoir posé à côté de ce fichu micro-onde qui, soit dit en passant, était hideux. J'avais appelé ma mère pour lui dire que je n'arrivais plus à retrouver mon objet électronique, et quelle surprise avais-je eu lorsqu'elle me répondit "Il est sur la table de salle à manger". 

Au début, j'avais pensé que c'était ma mère qui avait voulu me faire une blague en me le prenant et en le posant sur la table de salle à manger, elle aurait très bien pu le prendre pendant que j'avais le dos tourné. Elle était très discrète lorsqu'elle le voulait. Cependant, elle m'affirma qu'elle n'avait rien fait, et rajouta que c'était sûrement moi qui l'avait posé sur la table. J'avais répondu qu'elle m'aurait certainement vu si je l'avais posé à côté d'elle, et elle m'affirma qu'elle était bien trop concentrée à parler avec mon père pour me remarquer. Elle fut très vite agacée par mon radotage et me demanda de les laisser tranquilles. Ce jour avait été l'élément déclencheur de ma thèse.

Ma "thèse", oui. J'en avais parlé à Margaux juste le lendemain, elle m'avait dit que parfois, on faisait des choses sans s'en rendre compte, et que c'était parfaitement normal. "Normal". Je ne pouvais pas penser cela. A partir de là se sont basé mes recherches sur la question. J'avais pris le tableau blanc qui était resté cloîtré dans le grenier pendant quatre ans afin de m'en servir comme support. J'y avais inscrit tous les événements "normaux", comme tout le monde les appelait, qui pour moi n'étaient pas naturels. J'y avais inscrit des tas de choses telles que « Pourquoi des objets changent de place sans que nous nous en rendons compte ? », « Pourquoi entendons-nous des bruits suspects lorsque nous sommes seuls : des pas dans le couloir, des respirations saccadées, des grincements de porte... » ou encore « Les bleus dont on ne connait pas la provenance, qui les fait ? ».

Certes, certains pourraient répondre facilement que c'était juste nous qui oublions certaines choses que nous faisions. Je trouvais ça drôle de mettre ça sur le compte de l'oubli. C'était beaucoup trop facile. Beaucoup trop "normal". Je le sentais qu'il y avait quelque chose derrière. Et quoi qu'il pouvait se passer, je pourrais faire n'importe quoi pour le prouver.






Dans l'ombre...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant