Les jours passaient comme du sable entre les doigts, et pourtant cette image que j'avais vue ne sortait pas de ma tête. Oui, pour une fois, j'avais pu mettre une image sur ce que je croyais, sur cet être qui me rendait fou. Il était derrière moi. Ce n'était pas mon imagination.

J'étais dans la salle de bain lorsque ça s'était produit. Je venais de me rhabiller et je me séchais les cheveux devant la glace, lorsque soudain, une ombre passa derrière moi. Ce ne pouvait pas être la mienne, car j'étais immobile lorsque je l'ai vu courir derrière moi. Ce n'était pas une ombre comme celle que l'on pouvait voir dans les rues, les beaux jours d'été. Non, c'était une forme, sans silhouette. Une sorte d'ovale mal dessinée, une chose.

Bien évidemment, j'avais essayé tant bien que mal de le dire à mes parents, mais dès que j'eus prononcé les mots « être mystérieux » et « ombre », mes parents s'échangèrent un regard qui voulait dire qu'ils devaient faire quelque chose pour mon « bien ». Au début, j'avais cru qu'ils m'enverraient voir plusieurs psychologues en même temps (ce n'était pas l'argent qui leur manquait, à mes parents), mais pas du tout ! Ils voulurent m'interner dans un hôpital pour enfants perturbés psychologiquement. Je ne voulais pas y aller !

C'était la raison pour laquelle, dès le lendemain, j'avais fugué. Oui, fugué. Sortir de chez moi. Loin. Très loin. Quelque part où l'on me retrouverait pas, où l'on me qualifierait pas de fou. Ça allait de soi qu'il fallut même pas deux jours avant que l'idée de retourner chez moi devint une solution : j'avais terriblement faim et je me sentais si sale et seul. Des phrases en "Si.." débitèrent dans ma tête. Et si je rentrais à la maison, que m'arriverait-il ? Et si je restais dehors trop longtemps, mourrais-je de faim ?

Mon ventre n'avait pas cessé de gargouiller. Pas une seule heure sans me tordre en deux, mains plaquées sur le ventre. Je n'avais jamais été habitué à une telle grève de la faim. Parfois, en essayant de trouver un abri où y passer la nuit, j'apercevais, près de plusieurs poubelles, des restes de nourriture, mais jamais je n'avais osé les manger. Par principe. Quelle honte de devoir manger dans les poubelles, comme un vulgaire mendiant ! Non pas que je jugeais les mendiants, loin de là, je les admirais plus qu'autre chose pour leur courage et leur force de subir ce que je subissais depuis plusieurs jours, mais ce n'était pas très mélioratif de se comparer à eux. 

Quoi qu'il en fût, je me retrouvai allongé, sous un arbre, -presque- à l'abri de la pluie. La terre était légèrement mouillé et tachait légèrement mon pull, mais peu importait : mes parents devaient certainement me chercher. Ou pas. Je m'inquiétais pour mon avenir. Devais-je fuir pour toujours ? Devais-je retourner à la maison, au risque d'être envoyé en hôpital psychiatrique ? J'imaginais déjà mes parents expliquer à la police que leur fils, moi-même, un malheureux petit enfant perturbé et dans un état moral critique, avait fugué. 

Je n'étais pas fou.

Pendant que je somnolais sous ce fameux peuplier -je crois-, j'entendis des pas marcher sur les graviers. Ni une ni deux, je tournais la tête pour voir qui pouvait bien venir. J'espérais intérieurement que ce n'étaient ni mes parents, ni les policiers. Cependant, je ne vis personne. Et encore plus étrange : dès que j'eus tourné la tête vers le chemin où j'avais entendu ces pas, ce bruit avait cessé. Je me levai donc et allai doucement sur ce chemin. Je regardais le sol, espérant trouver des traces de pas, et bingo ! J'en étais sûr. Quelqu'un venait bien de marcher sur ces graviers : des traces de pas étaient présents, et il était certain que ce n'étaient pas les miens. Alors... à qui appartenaient-elles ? Les pas s'arrêtaient au beau milieu du large chemin de graviers. Même si une personne humaine avait voulu faire demi-tour, cela ce serait vu dans les traces qu'il aurait laissé derrière lui, mais pas du tout ! On pouvait apercevoir nettement à ce moment précis qu'une personne était en train de marcher en ma direction mais qui, dès que j'eus regardé en sa direction, avait disparu. 

Un frisson me parcourut.

Qui étaient-ils ? Combien étaient-ils ? Ils ne pouvaient pas être que dans ma tête, sinon ils n'arriveraient pas à laisser des traces derrière eux, des traces flagrantes, indéniables. 

Il commençait à faire nuit et j'allais passer encore un nuit dehors, dans le froid. Il ne faisait pas non plus 0 degré, mais nous n'étions pas loin durant les nuits. J'avais pris soin de prendre une fine couverture avec moi, avant de m'enfuir de ma demeure, avant de fuir mes parents. 

J'avais faim.

Et si ces êtres qui disparaissaient dès qu'on les apercevait me voulaient du mal ? Et si... ils étaient là ? En ce moment même ? En train de guetter mes moindres mouvements... J'étais seul, au beau milieu d'un parc, à une heure tardive. Si je me faisais kidnapper par des êtres dont seul moi croyais en leur existence, qu'en penseraient les autres ? Les policiers ? Mes parents ? Ma famille ? Ils concluront que j'ai simplement fugué quelque part où on ne pouvait pas me trouver, sans se soucier que j'étais à la merci d'êtres invisibles. 

J'avais peur.

Je voulais dormir, mais je ne voulais pas. Je craignais qu'on me fît du mal durant mon sommeil. J'avais peur de me réveiller ailleurs qu'ici. Je ne savais pas ce que ces choses me voulaient, mais ce qui était certain était qu'elles me suivaient.



Dans l'ombre...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant