Tome 2 - Chapitre 1

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Le cinq de coupe.

Triste reflet de mon avenir.

Cela devait faire une dizaine de minutes que j'observais bêtement le tapis aux motifs ethniques, comme si ma carte allait disparaître. Pourquoi, de toutes les cartes du tarot, avait-il fallu que celle-ci s'échappe, maladroitement, alors que j'essayais de le ranger dans sa boîte ? Mais surtout, pourquoi avait-il fallu que le dessin se retrouve à l'horizontal, ni vraiment droit, ni vraiment à l'envers ?

J'en frissonnais. Comment l'interpréter ? Dans un sens, je pouvais y voir un symbole de deuil et de regrets, dans l'autre, le pardon et le nouveau départ. L'homme à la tête penchée étudiait ses coupes renversées, avec à peu près autant d'intensité que je le fixais. Ce n'était qu'un dessin, certes, mais un présage avant tout. Et s'il m'avait trouvée sans que je n'aie à le solliciter, ça devait être de la plus haute importance.

Un tintement métallique m'arracha un sursaut. Je relevai la tête si brusquement qu'une décharge glissa le long de ma nuque, me soutirant un grognement. Il me fallut quelques secondes pour comprendre que ce n'était que la porte d'entrée de mon salon. Je n'eus pas le temps de vérifier l'heure sur mon téléphone que, déjà, mon prochain client soulevait le rideau qui servait de séparation entre la zone d'attente et la salle de voyance. Un grand sourire étira naturellement mes lèvres quand Andréa apparut.

– J'ai un peu de retard, s'excusa-t-il en s'approchant, on avait du monde au salon de thé.

Je me levai pour venir le prendre dans mes bras. Comment avais-je pu oublier notre séance ? Cette carte de tarot m'avait vraiment fait perdre le nord !

– Le client précédent vient juste de partir, t'inquiète pas.

Je récupérai son manteau et l'accrochai sur le portant prévu à cet effet. Je connaissais André depuis plus de trente ans et, ces vingt dernières années, il avait pris l'habitude de profiter de mes services deux fois par semaine. Officiellement, je l'aidais à garder un lien avec sa défunte épouse, mais officieusement je l'empêchais de faire son deuil. Si au début j'avais tenté de le dissuader, il était vite devenu évident que c'était ce qu'il voulait. D'un signe, je lui indiquai le siège sur lequel il pouvait prendre place avant de venir lui faire face.

– Tu vas bien ? me demanda-t-il d'un ton concerné. Ça fait un moment qu'on n'a pas eu l'occasion de se voir.

– Oui, je suis désolée d'avoir dû annuler certains rendez-vous ces dernières semaines. Ça a été un peu compliqué.

Entre le départ d'Isis, son retour, nos découvertes et mon envie de me laisser mourir dans un cachot humide, « compliqué » était un sacré euphémisme.

– La dernière fois que je t'ai vue... il y a deux semaines, tu avais l'air dévastée ? Ça va mieux ?

Allais-je mieux ? Je n'aurais même pas su le dire. Depuis notre confrontation avec Sophie deux semaines auparavant, les choses n'avaient pas beaucoup changées. Je me sentais toujours aussi perdue, mais il y avait maintenant l'omniprésence de cette voix dans ma tête. Comme un mantra insistant, elle répétait les paroles blessantes qu'avait eu Soutekh un siècle auparavant. Aussi sournoise qu'Apepi, elle me persuadait d'un ton sifflant d'abandonner mes espoirs.

– Ça va, lâchai-je finalement avec un sourire exagéré, j'ai juste eu pas mal d'infos à intégrer. Rien de grave.

– Tu sais, Nephrée... Si t'as besoin de parler, tu peux venir me voir. Je me doute que tu préfères aller voir Isis, mais parfois ça fait du bien d'avoir une personne extérieure sur qui compter.

C'était aussi pour ça que j'aimais tant Andrea. Dès son arrivée à Heliopolis, nous avions noué une amitié forte et après plus de trente ans, je lui vouais une confiance aveugle.

Le Fléau d'Égypte - Tome 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant