Prologue

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Quelques années plus tôt, Nicosie

Le noir.

Je ne voyais rien de plus qu'une obscurité aveuglante. Seul le battement régulier de mon coeur parvenait à mes oreilles. Le poids de l'anxiété s'abattit sur ma cage thoracique.

Il faisait si noir.

La peur me galvanisant, je levai lentement une main devant moi. Alors que je ne m'attendais qu'à sentir un vide immense, la pulpe de mes doigts glissa contre un plastique lisse. Je pensai immédiatement à une bâche, ou quelque chose du genre. Cette constatation me donna l'impression de suffoquer. Ma panique s'intensifia. Je tâtai frénétiquement l'enveloppe de ma prison, à la recherche d'une échappatoire. Habile, mon index frôla la solution. Une fermeture éclair. 

Après quelques efforts, il réussit à créer une petite ouverture qu'il ne lui resta plus qu'à faire coulisser. Enfin libérée, je pris une grande inspiration pour me calmer. D'un geste un peu trop rapide, je me redressai. Je dus fermer les paupières quelques instants pour que le monde cesse de tourner. Une mince lumière de veille dessinait les contours de certains meubles. Enfin... de différentes tables. J'étais allongée sur l'une d'entre elles. Qu'est-ce que je foutais là ? Refoulant difficilement mon incompréhension, je me relevai avec précaution. 

Ma priorité était de trouver la sortie, pas des réponses.

Une vague de soulagement m'envahit lorsque je fus sûre que mes jambes seraient capables de me porter. Elles ne vacillaient pas. Je ne mis pas très longtemps à trouver la porte et m'extirper de cette pièce que tous mes instincts me poussaient à fuir. Tandis que je déambulais au travers des couloirs vides, mon cerveau marchait à plein régime. Mes pieds nus. Cette étiquette qui pendait à mon orteil. La bâche. Les éléments s'assemblaient les uns aux autres. Qu'avait-il pu se passer pour que je me retrouve à la morgue ?

Le néant. 

Je ne me rappelais de rien. Plus j'essayais, et moins j'y arrivais. Une vive douleur vrilla ma boîte crânienne, signe qu'il était temps que j'arrête de forcer les souvenirs. Surtout pour un résultat aussi peu probant... 

Pourquoi ne croisais-je personne ? Pourquoi l'hôpital était-il si mort ? Tant de questions se bousculaient en moi. Elles venaient s'ajouter à la pile déjà lourde qui me compressait l'estomac. Je me sentais si mal. Il me fallait de l'air frais.

Quand enfin je fus sortie du bâtiment, je me retrouvai dans une ruelle très éclairée. De nombreux lampadaires dessinaient les contours de la route, formant une haie d'honneur lumineuse. Une voiture passa à vive allure, m'arrachant un sursaut.

J'étais si perdue. Mes pensées tourbillonnaient et se mélangeaient dans mon esprit, sans qu'aucune ne se démarque des autres. Mécaniquement, je laissai mes pas me guider, sans savoir où ils me mèneraient. 

Combien de temps dura mon errance ? Je n'aurais su le dire... Dix minutes ? Une heure ? Elle aurait sûrement été plus longue encore si un homme n'avait pas surgi devant moi, comme un fantôme dans la nuit. Son regard émeraude harponna immédiatement le mien, me faisant frissonner devant le soulagement qui y régnait. Ses mains saisirent mes épaules sans délicatesse. Je n'eus pas le temps de lui demander de me lâcher que, déjà, sa voix brisait le silence :

– Isis, te voilà ! J'étais mort d'inquiétude. Je t'ai cherchée partout, tu ne...

Il s'arrêta brusquement pour me détailler avec rigueur. Mon manque de réaction avait visiblement attiré son attention. Je ne parvenais plus à réfléchir. Ma bouche s'entrouvrit légèrement, cherchant quelque chose à dire. L'une de ses paumes se posa contre ma joue froide.

– Isis...

Il s'interrompit. Mes sourcils froncés et mon air troublé devaient parler pour moi. Trouvant enfin le courage, et l'occasion, de placer quelques mots, je balbutiai :

– Qui... Qui êtes-vous ?

À peine avais-je prononcé ces paroles que son emprise se relâcha. La mâchoire de l'inconnu se contracta et, malgré l'obscurité, je discernai le blanchiment de ses traits. Une peine indescriptible s'immisça au fond de ses prunelles. Dans un élan de frustration, il serra son poing et l'abattit contre le mur le plus proche.

– Non ! Pas encore ! rugit-il, désespéré.

Il prit quelques respirations profondes, sans doute dans l'espoir de recouvrer son calme, puis recula lentement. L'homme examina le moindre centimètre carré de ma peau, avec une telle intensité qu'on aurait dit qu'il voulait s'en imprégner. Sans explication ou égard supplémentaires, il disparut, emportant avec lui mes espoirs de réponses.

Le Fléau d'Égypte - Tome 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant