Aujourd'hui, je peux dire que j'ai tenu ma promesse. Je me souviens de mes parents, de ma petite sœur, ma petite Lola et même de notre labrador.
Aujourd'hui, treize ans après l'accident de la route qui a tué mes parents et ma petite sœur, je peux dire que j'ai tenu ma promesse.
Comme chaque jour, je m'allonge sur mon lit, les mains croisées sous ma tête, et je fais l'inventaire de ma vie.
« Je m'appelle Nathan. J'ai dix — sept ans. Je suis dans un hôpital psychiatrique. Mes parents et ma petite sœur sont morts dans un accident de voiture il y a treize ans. J'aime le noir. L'infirmière qui me soigne le matin est une stagiaire de mon âge et elle est super jolie. J'ai un téléphone mais j'ai personne à appeler . Je connais pas grand — monde parce que j'ai passé toute ma vie dans cet hôpital. Je me sens pas fou, mais tout le monde pense que je le suis. Il est 9h34. Je ne fais quasiment rien de mes journées. Je dois voir mon psy cet après midi. Il est 9h35. Ça fait treize ans que j'ai pas ouvert la bouche. Je suis pas muet, mais j'ai rien à dire. Je vois pas l'intérêt de parler pour dire des choses inutiles. J'ai déjà essayé de me suicider mais les infirmières m'ont trouvé avant. La nuit, je sors de l'hôpital pour monter sur les toits et fumer. J'achète du tabac et parfois de l'herbe à un revendeur à côté de l'hôpital. Il s'appelle Max. Souvent, il me présente des filles qu'il connaît. J'en baise certaine. Pas toutes, mais suffisamment. Je m'ennuie. »
Je vois les aiguilles de l'horloge murale qui avancent, lentement mais sûrement, vers l'heure de mon rendez — vous. Je me lève, prend mon téléphone inutile et y branche mes écouteurs. En sortant de la pièce je croise mon infirmière, Maria, qui passe devant la porte. Elle me sourit. Elle a des cheveux attachés en chignons, bruns et frisés, et de jolis yeux bruns foncés. Elle me demande :
« Tu vas chez ton psychologue, Nathan ? »
Fidèle à moi — même, je ne lui répond rien mais acquiesce de la tête en souriant aussi.
En arrivant chez mon psy, je m'assied dans la salle d'attente, me relève quasiment aussitôt, m'adosse contre le mur. L'attente ici est insupportable. Les murs ne sont pas insonorisés, les fauteuils sentent le vieux, des tableaux religieux sont accrochés au mur et par dessus tout, il n'y a pas de fenêtre...
Heureusement, personne ne me voit gesticuler dans cette salle, on me prendrait pour un fou. Ha ha ha.
Au bout d'un temps interminable, la porte s'ouvre et mon psy sort de la pièce. Il est vieux, il a des cheveux blancs, des rides, il est gros et sent le chat crevé. Autant dire que j'apprécie énormément sa compagnie.
Je rentre dans la salle, et reste debout dans le coin opposé du bureau. Mon psy se laisse tomber lourdement dans son fauteuil et m'invite d'un mouvement de tête à m'allonger sur le canapé au milieu de la pièce. Je refuse d'un signe et il ouvre le dossier posé devant lui :
« Alors, Nathan, comment vas — tu ? Tu ne t'ennuie pas trop ? Tu prends tous tes médicaments ? »
Il me parle lentement, comme à un enfant, et je sens ma patience s'amenuiser à chacun de ses mots. Malgré cela je ne lui répond rien et balade mes doigts sur le mur. Le léger bruit du frottement comble le vide de mes paroles.
Je sens que l'homme en face de moi s'échauffe, il parle de plus en plus fort.
« Nathan ! Comment vis — tu la mort de tes parents au quotidien ? Si on remarque que tu ne les as pas connus beaucoup, est — ce qu'ils te manquent ? Et ta petite sœur ? »
Je garde les yeux baissés, ignorant ses questions comme à mon habitude.
« Nathan ? Est — ce que tu t'en veux beaucoup d'avoir causé la mort de tes parents ? »
Cette flèche de haine et de mépris purs me parvient avec une netteté étonnante, je l'entends encore et encore dans mon esprit, elle résonne à mes oreilles comme le refrain d'une chanson. Je lève la tête et plante mes yeux dans ceux du psy. Il a un regard calme et sincère, empreint d'une compassion dont je ne veux pas.
En quelques enjambées, j'atteins son bureau et passe mon bras au — dessus de ses papiers pour empoigner son pull. Il perd son apparence détendue et affiche à présent un visage terrifié. Du bout du doigt, il appuie sur un bouton rouge vif que je n'ai pas remarqué, et une puissante alarme retentit dans la pièce. Je le lâche aussitôt et recule, cherchant à m'enfuir par n'importe quel moyen.
Plusieurs infirmiers entrent dans la pièce. Ils viennent pour moi, je le sais. Ils sont nombreux, trop pour moi. Deux des hommes ont une seringue remplie d'un liquide clair, ils se r approchent de moi pas à pas, comme ils s'approcheraient d'un animal. Ils essayent de m'attraper les bras, moi de sortir de cette pièce et mon psy reste avachi sur sa chaise de bureau.
Les infirmiers forment un cercle autour de moi, en s'avançant lentement. Je bande mes muscles, m'apprête à en frapper un... La porte s'ouvre une dernière fois, Maria entre. Je reconnais son pas précipité avant même de la voir. Les hommes se retournent, la voix de Maria claque dans le silence qui a envahi la pièce :
« Nathan ! Arrête. »
Je croise son regard, ses grands yeux bruns sont implorants, je sais ce qu'elle pense : «Reste tranquille, sinon tu ne sortiras jamais d'ici.»
Elle a raison, sauf que je ne sortirais de toutes façon jamais de cet endroit, et elle le sait autant que moi.
Je laisse mon corps se détendre, marche vers Maria, mais les infirmiers m'arrêtent. Maria veut s'approcher de moi, l'homme le plus proche d'elle la retient par la taille, l'enlace. Ses grands yeux s'assombrissent encore plus, elle s'appuie sur son épaule.
A cet instant, stupidement, je me sens trahi. Trahi parce que cette épaule sur laquelle elle s'appuie aurait dû être la mienne.
Je sais que Maria m'aime, ou m'apprécie beaucoup, mais cette affection est mêlée dans ses yeux à un sentiment de peur et de colère. Elle est en colère après moi parce qu'elle sait que je vais commettre une faute tellement grave que je vais me faire enfermer à vie.
Je repousse les hommes, pour parvenir jusqu'à elle et la saisit par les épaules. Je la regarde, silencieusement, avec toute la haine dont je suis capable, mais toute cette haine ne parvient pas à recouvrir l'affection que j'éprouve.
Et puis, l'instant d'après, je sens l'aiguille d'une seringue qu'on enfonce dans mon bras.

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Un Amour fou.
Romance"Un Amour fou" Nathan est fou, fou d'amour pour elle. Mais elle, elle ne le connait pas, pas encore...