POINT DE VUE NATHAN
La première chose que j'ai éprouvé ce matin là, c'est un sentiment de liberté.
Emma et moi avons passé des tests avec nos psy respectifs pour pouvoir sortir de l'hôpital. Nous les avons réussi, mais nous restons quand même en contact avec eux, au cas où.
Maria nous a indiqué l'endroit où nous devions vivre. C'était un petit appartement au cinquième étage d'un immeuble, payé pour un mois le temps de retrouver nos marques, une vie normale. Je travaillais comme serveur dans un restaurant pendant qu'Emma faisais toutes sortes de petits travaux de ménage et de baby-sitting. Nous n'étions pas riches, mais nous étions heureux.
Aujourd'hui comme tous les autres jours, je termine de déjeuner pendant qu'Emma lit un journal sur le canapé. Son premier rendez — vous ne commence que l'après — midi, elle doit garder un enfant.
Je met mon bol dans l'évier, embrasse Emma et descend les escaliers jusqu'au hall d'entrée. Je vais travailler au restaurant à pieds, nous n'avons pas assez d'argent pour acheter une voiture.
La journée s'écoule à une lenteur désespérante, il me tarde de retrouver Emma...
Le soir, je m'approche de notre immeuble quand je remarque les camions du Samu garé devant le bâtiment. Les gyrophares éclairent la scène d'une lumière forte qui m'oblige à détourner les yeux. Ce faisant, je remarque près d'une fenêtre une de nos voisines, Marina, une femme brune d'une trentaines d'années, qui vit seule avec ses deux bébés. Emma les garde parfois et je sais que les deux filles s'apprécient énormément. Marina pleure, une main plaqué sur le visage et les yeux fermés. J'espère sincèrement que ce n'est pas pour ses enfants que le Samu est ici. J'irais bien la voir mais je veux d'abord retrouver Emma.
Je monte les marches de l'escalier quatre à quatre et arrive rapidement devant la porte de notre appartement. Je m'apprête à sortir mes clef quand je remarque que la porte est entrebâillée... Emma ne laisse jamais la porte ouverte. Jamais.
J'ai un mauvais pressentiment. En réalité, j'ai tellement peur de rentrer dans l'appartement que j'en ai mal au ventre. Néanmoins, je pousse le battant et passe la porte.
Aussitôt, une odeur de froid m'entoure. La pièce est sombre, les radiateurs son éteints et le vent souffle dans le salon.
« Emma ? »
Le son de ma propre voix me fait sursauter, il résonne et me paraît fort comparé au silence qui règne ici.
Je passe dans chacune des pièces en terminant par la chambre.
La fenêtre est ouverte en grand, les pages du livre d'Emma posé sur la table de nuit volent et menacent de s'arracher. Je m'en approche, le referme et le bloque à l'aide de la lampe de poche qu'Emma garde toujours à côté de son lit.
Et puis je me retourne, face à la porte. Et je les vois. Elle a recouvert toute une portion du mur de sa belle écriture fine.
«Nathan,
J'espère que tu verras mon message avant les autres.
Je voudrais te dire deux choses.
La première, c'est qu'il y a peu j'ai revu mon père. Je sais qu'il est sensé être en prison, mais je l'ai vu. Je sais aussi que c'est un mirage de mon cerveau malade, que mon géniteur n'est pas vraiment en face de moi. Je le sais parce que quand je cligne des yeux, il disparaît. Pourtant, quand je vois ses yeux brillants de haine et de désir mêlé, ses mains tendues vers moi, sa démarche boitillante d'ivrogne, quand je me rappelle sa peau contre la mienne, ses doigts parcourant mon corps, le supplice de ces nuits interminables pendant lesquelles il abusait de moi, je ne peux pas m'empêcher d'avoir peur. Je n'ai pas voulu t'en parler pour ne pas t'inquiéter.
La seconde est plus joyeuse. Je voulais te dire que je t'ai toujours aimé, Nathan, et que ça ne changera jamais. Tu es la lumière de mon ombre, le soleil de mes nuits, celui qui m'a sauvé de mon père inexistant et je te remercie pour ça. Je t'aime, je t'aime, Nathan.
Je vais retourner à l'hôpital, Nathan, et tu n'essaiera pas de me retenir, de me rattraper, ou de venir me chercher. »
À partir de ce moment, son écriture est devenue hachée, précipitée.
« Nathan ! Il faut que tu viennes, il faut que tu m'aides. Il est la, Nathan. J'entends son pas lourd dans les escaliers, sa main qui abaisse la poignée de la porte, celle de la chambre. Et il entre dans la chambre. Il ferme la porte à clef et va s'allonger sur le lit, il me fait signe de le rejoindre. Il nous a enfermé dans la chambre. J'ai peur. »
Les yeux brûlants de larmes, je titube vers la fenêtre et me penche pour regarder le sol. Le corps désarticulé de mon Emma gît, en dessous de notre fenêtre. Je vois son tee — shirt taché de sang qui se soulève avec le vent et les pompiers lui rabattre une couverture sur le visage. Je voudrais leur crier d'arrêter, que je voudrais voir son visage une dernière fois, mais un nœud se forme dans ma gorge, m'empêchant presque de respirer. Les larmes qui coulent le long de mes joues tombent elles aussi par la fenêtre et j'imagine leur chute, semblable à celle qu'a faite mon Emma, et leur atterrissage sur le sol dur.
Je me retourne et donne une séries de coups de poings dans le mur. Je veux oublier que je ne verrais plus Emma, je veux oublier que je ne sais plus comment respirer tellement j'ai mal, je veux oublier que mon cœur a explosé de douleur et de haine dans ma poitrine, je veux juste me concentrer sur la douleur physique de ma main et non sur celle, psychologique, de mon esprit. Je veux tout oublier, sauf les semaines de bonheur que j'ai vécues avec elle.
En relevant les yeux, j'aperçois une toute petite phrase écrite en rouge vif sur le bas du mur, en dessous du long texte :
« Il me suis, Nathan. Mon père me poursuit depuis toujours et il va me rattraper, il faut que je parte, et la seule issue possible, c'est la fenêtre qui est ouverte. Je t'aime. Pardon.
Emma. »
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Un Amour fou.
Romansa"Un Amour fou" Nathan est fou, fou d'amour pour elle. Mais elle, elle ne le connait pas, pas encore...