La cellule

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Deux-cents-cinquante-quatre minutes plus tard, Thorn se retrouva à l'hôtel de police, escorté par toute une brigade de gendarmes qui le considéraient avec appréhension. Les griffes d'un Dragon n'étaient pas une menace que les officiers du maintien de l'ordre prenaient à la légère. Bien qu'il ne s'était fait aucune illusion sur le traitement qu'on lui réserverait en tant que bâtard, intendant démissionnaire et tueur d'un courtisan Mirage, la situation semblait encore plus sombre que Thorn l'avait envisagée.

Lors de sa dernière confrontation avec la justice du Pôle, quelques années auparavant, après l'attaque qu'il avait perpétrée contre ce maudit ambassadeur qui avait failli ruiner la vie de sa tante, il avait été prévenu. Si jamais il touchait encore à un noble, ce serait la Mutilation, ni plus, ni moins. Et pourtant, il n'avait pas hésité un seul millième de seconde à attaquer et achever Melchior. Pas avec la survie d'Ophélie dans la balance. Elle valait tous les sacrifices du monde, sa propre vie incluse, si c'était ce qu'il fallait pour qu'elle soit enfin saine et sauve.

Ophélie, qu'il avait pu tenir serrée contre lui dans cet Imaginoir où elle avait failli mourir, à cause de lui. Ophélie, qui s'était presque battue avec les gendarmes qui l'avaient traîné, menottes aux poignets, en tentant de leur expliquer qu'il n'était pas responsable des cadavres découverts. Ophélie, qui lui avait lancé un regard indéchiffrable à travers ses lunettes bleuies quand il avait été emmené vers l'ascenseur du treizième sous-sol. Ophélie, qui avait essayé de le sauver. Ophélie, qu'il aimait à en avoir mal, plus encore maintenant qu'il ne la reverrait sûrement jamais.

À l'hôtel de police, les gendarmes qui le matin même étaient encore sous les ordres de l'intendant du Pôle le traitèrent sans aucune considération. Ils firent enlever sa veste d'uniforme, dont il n'avait plus besoin maintenant qu'il avait quitté son poste, et son gilet, le fouillèrent de la tête aux pieds et lui confisquèrent sa montre à gousset ainsi que la paire de petits dés cachée dans la poche intérieure de sa chemise. Cela le contraria profondément, un peu plus que cela, même. Plus de moyen de savoir l'heure, bien qu'il pouvait toujours compter les secondes qui s'écoulaient dans un coin de son cerveau, mais surtout plus aucun objet familier auquel se raccrocher pour se rassurer, se contrôler.

Une fois dépouillé de tout effet personnel, toujours menotté, Thorn fut placé en détention provisoire. Six heures et trente-sept minutes après la mort du baron Melchior, il se retrouva seul, enfermé dans une cellule des sous-sols de la Citacielle. Il avait eu tout loisir de construire dans son esprit l'argumentaire qu'il comptait présenter à Farouk lors de son procès, si tant est qu'on lui permette d'en avoir un. Il savait que l'esprit de famille ne lui pardonnerait probablement pas ce qu'il avait fait aux états familiaux. Il l'avait contrarié, vexé, humilié, en démissionnant de l'intendance, en refusant d'épouser Ophélie, en renonçant à la lecture de son Livre. Si Thorn avant cru au hasard plutôt qu'aux faits et aux statistiques, peut-être aurait-il eu un peu plus d'espoir. Mais son pragmatisme lui disait que ses chances d'en réchapper vivant étaient faibles, pour ne pas dire inexistantes. Tout ce qu'il pouvait espérer, c'était qu'Ophélie lui obéisse et quitte le Pôle, sans jamais faire allusion à tout ce qu'elle avait appris sur Dieu. Elle pourrait être en sécurité, heureuse, épouser un quelconque cousin et fonder une famille.

Son cœur se serra à cette perspective et sa main se porta instinctivement à sa poche pour n'y trouver ni montre, ni dés. Rien que le vide, le même vide qui lui emplissait l'esprit à cet instant, alors que son ventre se contractait à l'idée de cette petite liseuse mariée à quelqu'un d'autre que lui. Il se morigéna vivement, à rester rationnel, à ne plus penser à cet hypothétique futur qu'il s'était plu à imaginer, à se reposer sur des données, des chiffres, des éléments tangibles et dignes de confiance, pas comme ces sentiments qui l'accablaient de leur force douloureuse.

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