La sentence

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Toutes les parties en italique viennent directement du livre de Christelle Dabos

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Alors qu'il croisait son propre regard dans le mur d'or réfléchissant de la cellule, Thorn sentit comme un appel, un instinct qui s'éveillait au fond de lui. Au-delà de son reflet, visage couvert de sang et d'eau, il percevait autre chose, une destination à atteindre. Il n'était pas devenu un liseur, non, bafouant toutes les statistiques, Ophélie lui avait offert un don bien plus rare, il était devenu un passe-miroir. Cette ultime probabilité brisée fut celle de trop. La fatigue, l'angoisse, la joie, la douleur, tout ce par quoi il était passé depuis ces derniers jours, la confrontation avec ce destructeur de monde, son mariage avec Ophélie, et cette brusque réalisation, eurent raison de sa contenance. Il contracta une main sur son visage, tentant de contenir le rire presque dément qui naissait dans sa poitrine, remonta le long de sa gorge de sa propre volonté, faisant trembler sa pomme d'Adam, pour finir par atteindre sa bouche et se libérer dans un bruit incongru, rebondissant sur les parois de la cellule.

- Thorn? s'inquiéta Ophélie.

Sa femme le regardait abasourdie et effrayée. Sa femme. Il ne parvenait pas à se faire à cette idée, alors qu'il avait attendu avec une telle impatience mêlée d'appréhension leur union ces derniers mois. Elle devait le prendre pour un fou. Mais il ne l'était pas, pas le moins du monde. Il savait ce qu'il devait faire. La certitude s'était imposée à lui si brutalement et clairement que c'en était presque trop simple et sa main se détacha de son visage, son regard empli d'une détermination nouvelle.

- Ce simulacre divin m'a donné une leçon des plus instructives. Et vous aussi, déclara-t-il. Vous m'avez beaucoup appris.

Dieu n'était qu'un copieur, un imitateur, il empruntait l'apparence et les pouvoirs des humains qu'il voulait contrôler, parce qu'il les enviait, parce qu'il leur était inférieur, malgré ses tentatives désespérées de les diriger, malgré son existence apparemment longue et indestructible. Thorn trouverait sa faille, et il le détruirait, d'une façon ou d'une autre.
Il voulut bouger et il fut stoppé par une vague de douleur qui se diffusa dans tout son corps criblé de blessures, maintenant que le flot d'adrénaline qui l'avait fait tenir se dissipait.

- Ne bougez pas, lui dit Ophélie. Je vais chercher de l'aide. Je vais parler à M. Farouk.

Thorn la retint par le tissu de sa robe alors qu'elle se retournait vers la porte circulaire. Elle n'avait pas à chercher encore à le sauver, il ne resterait pas assez longtemps au Pôle pour que l'esprit de famille puisse exécuter sa sentence.

- Non. Laissez le venir jusqu'ici. Ça n'a plus d'importance.

Thorn prit une profonde inspiration, ferma les yeux et les rouvrit légèrement, laissant seulement apparaître de ses yeux gris une fente étroite par laquelle il contempla Ophélie, une dernière fois avant un temps indéterminé.

- Écoutez moi bien. Dieu ne sera pas le seul à garder un œil sur vous.

« Je ferai tout pour vous maintenir en sécurité. Je serai loin de vous, mais je vous protègerai de la seule façon dont je le peux, en cherchant le moyen de détruire Dieu. »

Ophélie lui arracha des mains le tissu auquel il était accroché et s'adressa à lui d'une voix forte et assurée.

- Nous en rediscuterons quand vous serez sorti d'affaire, pas avant. J'empêcherai M. Farouk de s'en prendre à vous. Je vous le promets, alors promettez-moi, vous, de ne rien faire d'inconsidéré avant mon retour.

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