Une soirée avec Moreau

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Le temps se gâtait au Village au moment où Salvatore Moreau, accompagné de son frère Karl Heisenberg, se dirigeait vers l'ancienne zone de pêche. Un épais voile blafard recouvrait le ciel qui paraissait surprenamment bas au-dessus du paysage enneigé et montagneux, comme un plafond de coton. Les deux hommes marchaient à vitesse de croisière, même s'il était évident que Moreau peinait à suivre Heisenberg et que chaque pas lui demandait un certain effort. Pendant que son frère parlait, son énorme marteau en main, Moreau sentait l'air froid se charger d'humidité, prémices d'une chute de neige imminente, et percevait même les minuscules premiers flocons qui heurtaient sa peau écailleuse là où une peau humaine comme celle de Karl ne pourrait rien ressentir. Son affinité pour l'eau était l'un des rares effets avantageux du Cadou sur son organisme. Ou, du moins, le seul effet dont il s'accommodait parfaitement.

La réunion de famille à laquelle les deux hommes venaient d'assister n'avait pas franchement été passionnante, et Moreau en avait surtout retenu l'écho des disputes incessantes entre Karl et leur - très - grande sœur Alcina Dimitrescu, la femme-vampire, ainsi que les sarcasmes et enfantillages d'Angie, la poupée de sa petite sœur Donna, qui avait la fâcheuse tendance à s'acharner sur le physique de Moreau. Il était tout de même heureux de s'y être rendu. Il ne manquerait ces réunions pour tout l'or du monde car elles étaient pratiquement devenues les seules occasions pour lui de voir Mère Miranda. La personne qu'il aimait plus que tout.

- Hmm ! Il commence à neiger, fit Karl en levant le nez vers les flocons, maintenant bien visibles, qui glissaient et tournoyaient gracieusement autour d'eux. J'aurais quand même préféré qu'on finisse un peu plus tôt. Ce n'est pas que je déteste rabaisser la géante au gros cul, mais je n'ai jamais été friand de rentrer à l'usine avec le manteau et le marteau trempés.

Heisenberg avait fait sienne l'usine au sud du Village, où il s'adonnait à des expériences visant à mélanger l'homme et la machine. Les frontières de son territoire touchaient celles du domaine de Moreau et de celui de Donna Beneviento. Le château d'Alcina Dimitrescu, quant à lui, surplombait le Village au nord. Tous les quatre issus de nobles familles, dont les ancêtres avaient été les premiers à coloniser la région et faisaient donc partie des fondateurs du Village, ils se faisaient appeler les Seigneurs, ou simplement les Nobles. Quatre Nobles dirigeant le Village, eux-même sous la suprématie de Mère Miranda. Celle-ci les avaient « adoptés » tous les quatre pour implanter le Cadou en eux, sorte de parasite aux effets variés, qui avait provoqué des mutations différentes sur chacun d'entre eux. Moreau avait conscience d'avoir été le moins gâté à ce niveau-là. Le parasite avait engendré dans son organisme des changements désastreux, lesquels le rendaient sujet aux railleries des autres. Heisenberg était celui qui se moquait le moins sur lui, et avec qui il avait le plus d'affinité, mais ce qui peinait vraiment Moreau était le désintéressement total de Mère Miranda envers sa personne, depuis que son corps s'était métamorphosé.

- Bon, c'est pas que je m'ennuie mais...mon usine est de ce côté, fit Heiseinberg avec un petit sourire navré alors qu'ils approchaient du territoire de Moreau. J'ai quelques cadavres à récupérer à la morgue.

Il tenait fièrement son marteau sur son épaule gauche et regardait sans gêne Moreau qui apercevait son écœurant reflet à travers les lunettes rondes de son frère. Il aurait franchement préféré ne pas se voir.

- Passe à la maison un de ces jours, répondit Moreau de sa voix gutturale et basse.

On avait l'impression que même parler lui était difficile, et qu'il était prêt à vomir à chaque instant. Ce qui n'était, hélas, pas loin de la vérité.

- Ouais, peut-être, dit Karl qui était déjà parti vers l'usine.

Moreau l'observa s'éloigner un instant, puis vit sa silhouette de cowboy se fondre dans la brume et disparaître comme un rêve. Il resta néanmoins immobile, le regard perdu dans le vide, la tête dans les nuages. Ses pensées étaient, comme toujours, tournées vers Mère Miranda. Elle était resplendissante, aussi belle qu'une fleur jaune poussant seule au milieu d'un champ. Bien mieux que sa véritable génitrice...Depuis que Mère Miranda l'avait pris sous son aile, Moreau avait senti son existence basculer de manière drastique. Outre les changements physiques qui le rendaient méconnaissable, c'était sa vie sociale qui avait pris une toute autre tournure. Fils d'un pêcheur et d'un médecin, il avait implanté le Cadou à ses deux parents ainsi qu'à sa petite sœur, alors âgée de 9 ans, se remémorait-il vaguement. Il l'avait fait à contrecœur, se haïssant même pendant plusieurs années pour de s'être servi de sa famille d'alors comme sujets d'expérience, mais c'était un ordre de Mère Miranda. Et pour elle, même à l'époque, il était prêt à faire n'importe quoi. Miranda avait débarqué dans sa vie alors qu'il se sentait horriblement seul au monde, isolé et mal aimé par ses parents, méprisé par une sœur qui avait peur de lui. Tel un ange descendu du ciel, Miranda était arrivée au village et lui avait tendu la main, contemplant sans peur la laideur qui le caractérisait déjà à cette époque. Elle avait été une mère pour lui, une vraie mère. Il avait d'ailleurs été son premier fils adoptif, avant que Dimitrescu, Heisenberg et Beneviento ne se joignent à la famille. Moreau aurait aimé rester au centre de l'attention de Mère Miranda mais il n'avait pas non plus été contre l'arrivée de nouveaux frère et sœurs. La seule chose qui le peinait était qu'elle se soit mis à l'ignorer totalement.

Une soirée avec Moreau - Fan fiction Resident EvilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant