(Histoire à deux voix)
*
J'ai l'habitude de venir très tôt. Ainsi personne ne voit mon visage dévasté par les larmes que j'ai versées toute la nuit durant. D'ordinaire, le gardien a à peine le temps de faire couiner l'horrible portail de fer forgé que je suis déjà sur la tombe de ma sœur. A force, il n'essaie même plus de me saluer. Il me laisse passer en me regardant d'un oeil morne. J'aime autant.
Je ne croise jamais personne parce que, comme je l'ai dit, je viens à une heure où les gens ont encore le nez dans leur tasse de café fumant. C'est aussi parce que je ne viens qu'une fois l'an - et, c'est déjà bien suffisant - à une période où tous ne pensent que famille et cadeaux. Enfin, c'est aussi parce qu'ici, on est au milieu de nulle part. Pas vraiment proche de Séoul ni vraiment assez loin. Personne ne souhaite vivre ici. Je ne veux plus vivre ici. Mes géniteurs eux-mêmes ne prennent pas la peine de faire le déplacement. Il n'y a que ma fichue culpabilité et mon éducation chrétienne pour obliger ma carcasse à venir jusque là ! Dans le fond, je sais que ma soeur n'en saura rien. Que ça ne lui fera ni chaud ni froid que je vienne ou non. Je me demande à chaque fois ce que je fous ici !
Et lui ? Lui avec sa grosse voiture neuve rutilante, qu'est-ce qu'il faisait là ? Garé face à moi dans ce parking désert encore plongé dans la pénombre ? La grille a grincé sinistrement ; le cimetière ouvrait. J'aurais déjà dû marcher d'un pas décidé dans l'allée que j'ai trop souvent arpentée. Mais non, je suis restée là, sidérée, à le regarder dévorer un sandwich accoudé au capot de son engin de luxe, l'air absent et ne semblant pas importuné par l'air froid et humide. Il s'est cru où ? Depuis quand fait-on des haltes touristiques là où certains souffrent le martyr ?
Je ne pleure jamais. Enfin si. Une fois l'an avant de me traîner jusqu'à cette tombe. Je ne crie pas non plus. J'ai été en colère pour toute une vie lorsque mon aînée a décidé que ses jours se termineraient en beauté si un train lui passait dessus, sept ans plus tôt. Les gens disent de moi que je suis d'un calme olympien ou que le stress n'a aucune prise sur moi. Je fais l'admiration autour de moi aux urgences. Je suis l'interne qu'ils adorent avoir en garde avec eux. La vérité, c'est que je suis un véritable foutoir que je contiens tant bien que mal. La vérité, c'est que mes parents se sont fait la malle chacun de leur côté après ça, et que je me suis plongée seule dans les études me murant dans le silence.
Alors quoi ? Qu'est-ce qu'il a fait à part se tenir là où je ne voulais de personne ? Il s'est trouvé juste au mauvais endroit au mauvais moment. Pourquoi ai-je eu envie de lui hurler dessus ?
Le foutoir en moi a débordé brusquement et, avant même que je n'en prenne conscience, je me suis mise à crier des horreurs. Il s'est redressé, a plongé ses mains dans sa veste en cuir. Il semblait attendre patiemment que je finisse. Son visage de porcelaine semblait lisse de toute émotion. Je ne le voyais plus clairement : de grosses putains de larmes se mettant entre nous. Quand ma bouche sèche d'avoir éclusé mon chagrin et ma rancœur sur un inconnu s'est enfin fermée, il a fini par me dire d'un air placide :
— J'attendais l'ouverture moi aussi. J'ai un ami là.
Et, il s'est mis, lui aussi, à tout déverser sur moi. Son chagrin n'a eu d'égal que ma stupeur.
— Bon, maintenant, on peut y aller m'a-t-il dit, la voix cassée en montrant le portail du menton. On reparlera, après, devant un café, sans se beugler dessus.
Voilà. Voilà comment Min Yoongi est entré dans ma vie aussi froide et lugubre qu'une pierre tombale. J'aurais pu dire non. Je dis non très facilement, sans scrupules. Mais venant juste de faire exploser mes barrières, je n'étais plus à ça près.
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Gleams Of Souls
FanfictionPlongez dans un recueil d'histoires courtes émouvantes, drôles et mélancoliques, mettant en scène les sept membres de BTS. Découvrez leurs histoires, leur courage, leurs maladresses et leur sincérité à travers des rencontres surprenantes et des mome...