Les premiers flocons de neige de cette année sont de toute beauté, je ne m'en lasse pas. Enveloppée dans plusieurs couches de vêtements, le froid me surprend malgré tout. Je remonte l'écharpe au-dessus du nez et rabat mon bonnet le plus possible sur mes oreilles gelées.
Heureusement, j'habite non loin de mon université, seulement une petite dizaine de minutes de marche, et je peux enfin m'installer, au chaud, dans l'un des amphithéâtres.
En troisième année de lettres et langues, je n'ai toujours pas la moindre idée de ce que je compte faire de ma vie, ni à quoi va me servir cette licence. Et le pire, c'est que je ne sais même pas pourquoi j'ai choisi ce domaine d'études. C'était sûrement la solution de facilité avec les notes que j'avais au lycée et qui frôlaient à peine la moyenne.
Dans l'attente des deux cents autres étudiants et du professeur, j'en profite pour me servir un thé de mon thermos fleuri. Sans oublier les biscuits secs qui l'accompagnent. Le petit déjeuner le moins coûteux que je peux m'offrir, comme tous les autres étudiants fauchés dans la même situation que moi.
Mon en-cas fini et étant encore bien trop en avance, j'ai le temps de sortir un roman du fond de mon sac, dont les bords sont cornés tellement je l'ai lu et relu sans me lasser. Sans surprises, il s'agit de mon livre préféré alors même que ce n'est pas un chef-d'œuvre et que ce n'est pas une histoire bien originale. Peut-être que je me rassure dans le côté prévisible de ce roman, je ne suis pas surprise et à chaque relecture je sais exactement à quoi m'attendre. « Un prince à tout prix », c'est une banale histoire d'amour entre la fille d'un vicomte, innocente et belle comme le jour, et un prince hautain, froid, mais qui se révélera être charmant.
Le lire me rend heureuse, avec une légère envie d'être à la place de l'héroïne parfois pour vivre une belle romance. Et même si le prince semble exécrable avec elle, il finit par devenir une bonne personne près d'elle. C'est cliché au possible, la blague préférée de notre directrice de licence qui en parle comme le pire exemple de roman moderne et d'après elle « un roman pour de simples midinettes ».
Les premiers étudiants débarquent lorsque j'entame le chapitre du bal. Parmi eux, Mina, qui s'installe à mes côtés dans un habituel soupir de lassitude. Mais qui est vite remplacé par sa saute d'humeur habituelle, un éclat de joie qui sort de nulle part. Mina est tout mon opposé, joyeuse et positive dès qu'elle en a l'occasion, sociable et extravertie. Elle non plus, ne sait pas trop ce qu'elle fait dans cette licence, mais à mon contraire, elle adore la vie étudiante, l'université et surtout les soirées du jeudi soir.
— Encore ce fichu bouquin ? S'exclame-t-elle bruyamment. Tu devrais le brûler ! Et si la prof te voit avec, elle va encore vriller et nous faire un monologue d'une demi-heure sur ''à quel point il est mauvais''.
Elle se met à rire, d'un rire cristallin et pur. Elle me fait un signe de me taire lorsque la professeure débarque dans l'amphithéâtre, alors que de nous deux, c'est elle la plus agitée.
Nous avalons deux heures de cours sur l'histoire de la littérature, de Gutenberg à Victor Hugo en passant par des auteurs inconnus au bataillon. Elle ne parle jamais des auteurs du XXe ou XXIe siècle malheureusement. Je n'ai rien contre Charlotte Brontë, mais je commence à saturer, heureusement que Mina est là, elle m'envoie des messages et quelques blagues sur le cours ou bien des captures d'écran de ses conversations avec des garçons du coin.
C'est dans ce genre de moment que je me demande bien comment on a pu réussir à être amies. Mina est tellement sociable qu'elle parlerait à un chien coiffé, même à un mur et il répondrait !On s'est rencontrées le jour des inscriptions en première année, elle était derrière moi et n'avais pas pensé à prendre de quoi écrire. À partir de ce moment-ci, on s'est suivies toute la journée, on a fait toutes les étapes de l'inscription et nous avons donc fini ensemble dans les groupes de travaux dirigés. C'était peut-être le destin ou juste du hasard, mais depuis on s'inscrit ensemble dans les mêmes cours et mêmes options. Et je suis ravie de l'avoir rencontrée, avec elle ma vie d'étudiante est bien plus remplie et moins terne que ce à quoi j'étais destinée. Sans elle, je passerai mes soirées entières devant des films ou des séries ou à lire une montagne de livres. Grâce à elle, je rencontre de nouvelles personnes même si je suis la plus réservée de son groupe d'amis.
— Tu viens ce soir ? Me demande-t-elle une fois le cours fini, alors que nous rangeons nos affaires.
— Où ?
— Ils veulent tester un nouveau bar en ville. Elle hausse négligemment les épaules en remettant une longue mèche de ses cheveux auburn derrière son oreille.
— Mais... ce soir on devait regarder la pluie d'étoiles filantes... Je commence à lui rappeler, j'attends ce moment depuis trois longs mois. Parce qu'en plus de lire, j'ai une passion pour l'astronomie.
— Ah oui, j'avais zappé. Elle mordille le bout de son doigt, lorsqu'elle est nerveuse elle a une tendance à arracher ses cuticules. Mais c'est Ian qui me l'a proposé... Continue-t-elle.Le fameux garçon des messages, je comprends mieux pourquoi ma pluie d'étoiles lui est sortie de la tête quand celui qui la fait chavirer l'invite.
— Pas de soucis, je la regarderai seule. Je lui souris, je ne l'empêcherai pas de voir son bellâtre tant que je peux admirer mes étoiles.
— Tu es la meilleure ! Elle me saute en cou en sautillant sur place.
— Mais n'oublie pas de tout me raconter après.
Elle me refait un sourire, ses yeux bruns pétillent de joie et elle se dirige vers la sortie, venir à la première heure et uniquement pour un seul cours, qu'est-ce que je déteste l'université !
Pour ne pas avoir l'impression de perdre mon temps, je passe par la bibliothèque universitaire, histoire de renouveler ma liste des livres à lire. Et aussi pour admirer un étudiant vacataire au comptoir des prêts. Cela fait plus d'un an qu'il y travaille et j'ai eu comme un coup de cœur en le voyant là, concentré. Je ne sais pas si ce sont ses yeux clairs ou sa voix, mais quand je le vois, je ne peux empêcher mon cœur de battre à tout rompre. J'ai espéré que ce soit un des nombreux amis de Mina ou de son entourage, constatant que ce n'était pas le cas je n'ai pas non plus trouvé le courage de l'aborder, autre que pour des questions relatives à mes prêts en cours, et les dates de rendu. La seule fois que je l'ai croisé en dehors de la bibliothèque, il était au bras d'une magnifique rousse avec un teint de porcelaine et des yeux verts. À ce moment, je savais que je n'aurais aucune chance et je me contente de l'observer de loin. Je suis loin de la taille 38, je suis plus proche du 44 voire 46 en hiver, mes cheveux ne resplendissent pas comme ceux de Mina, je me tape un brun terne sans caractère. La seule chose que j'aime chez moi, ce sont mes yeux bleus, le reste est bon à jeter. Alors oui, je n'aurai eu aucune chance contre une pseudo Miss de concours de beauté. Peut-être que si je perdais trente kilos alors je rentrerais dans les standards de beauté, éventuellement, et participer aux concours d'exhibitions un peu comme avec les caniches et leur brushing.
Cette fois-ci encore, je ne l'aborde pas et me console en pensant à ma soirée pourvue d'un millier d'étoiles scintillantes et peut-être avec des cookies faits maison ou une crème glacée. J'hésite encore à regarder le spectacle de la fenêtre de ma chambre étudiante ou bien de m'installer dans le parc de la résidence avec un plaid épais. Mais sachant qu'il fait très froid, j'opte pour la fenêtre et m'installe avec un nouveau thé chaud aux fruits.
Lorsque la pluie débute, je suis happée par la splendeur de cet évènement. Mina loupe quelque chose de beau et apaisant. Je profite de ce moment pour faire un vœu comme lorsqu'on souffle les bougies d'un gâteau d'anniversaire. Mon regard se pose sur le livre devant moi et une pensée fugace me surprend « je souhaiterais vivre une telle histoire ». Mon vœu s'éteint dans un murmure et la dernière étoile tombe du ciel.
C'est la sonnerie de mon téléphone qui me sort de mes rêveries, un message de Mina m'attend patiemment et se manifeste par une notification clignotante. Son message est accompagné d'une photo : elle et mon inconnu de la bibliothèque. Un petit rire nerveux me prend dégoûtée et brisée. Une des rares soirées où je ne l'accompagne pas, il est là. Le hasard est un pervers vicieux et sadique. Mon amie me renvoie une multitude de petits messages sur sa soirée et son avancement avec Ian, depuis le début, il était là. Je ravale mes larmes, heureuse pour mon amie qui est folle de joie de sa sortie et des baisers échangés avec celui qui me faisait tant envie. Je fais comme si de rien n'était, car après tout il n'y avait rien et je ne lui en avais jamais parlé. J'attends d'être sûre qu'elle soit bien rentrée chez elle, escortée par Ian et je vais me coucher. Sa soirée se termine sur un échange de baisers langoureux et moi, sur un énième feuilletage de mon livre favori. Avec, peut-être, l'espoir que ma vie change en me levant le lendemain matin.
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Un prince à tout prix (Édité)
Teen FictionGwendoline s'ennuie dans sa vie, l'université ne l'emballe pas et elle peine à sociabiliser, même lorsqu'il s'agit de ce charmant jeune homme à la bibliothèque sur lequel elle a craqué. Un soir, elle fait le vœu de voir sa vie changer. Et c'est cho...